France

Covid-19 : Interpol recommande aux agents de porter un masque, les policiers français enragent

L'organisation internationale de lutte contre la criminalité, Interpol, publie une brochure à destination des agents devant contrôler les mesures de confinement... et préconise le port de protections parfois refusées aux policiers français. Enquête.

Avec ou sans masque ? La crise sanitaire du Covid-19 frappe la France de plein fouet et les forces de l'ordre s'inquiètent, depuis de longues semaines, des conditions sanitaires dans lesquelles elles doivent exercer.

Alors que de nombreux policiers anonymes, associatifs et syndicalistes ont fait savoir leurs points de désaccord avec l'administration, notamment par voie de presse et en suggérant dans des tracts à leurs collègues de ne plus procéder aux contrôles de confinement, c'est l'organisme international de lutte contre la criminalité, Interpol, qui met à nouveau le feu aux poudres entre les policiers nationaux français et la place Beauvau avec la publication d'une brochure le 26 mars qui préconise le port des équipements de protection individuelle dans la situation actuelle.

Porter gants, lunettes de protection et masque facial jetable en cas de contact rapproché avec une foule

En première page de la brochure figure un masque, puis en page 6 : «Compte tenu du mode de transmission de la maladie, il peut être recommandé que les agents des services chargés de l’application de la loi au contact de la population portent un masque et/ou des gants si ceux-ci sont disponibles.» Le document se poursuit, page 10, avec cette recommandation supplémentaire : «Porter un EPI [équipement de protection individuelle] (s’il est disponible) comprenant des gants, des lunettes de protection et un masque facial jetable en cas de contact rapproché avec une foule.»

Les effectifs de la police nationale ont été priés de retirer leurs masques de protection à plusieurs reprises au cours des dernières semaines lors des contrôles de confinement, à la fois dans des notes internes (e-mails, affiches dans les services) et sur les ondes radio

Selon des communications contradictoires des directeurs départementaux de la sécurité publique, du directeur général de la police nationale, du directeur central de la sécurité publique ou de la direction centrale des CRS, d'une semaine à l'autre, le port est parfois toléré voire encouragé dans certaines situations, mais proscrit dans d'autres... La haute hiérarchie semble avoir du mal à s'accorder sur ce point.

La moutarde monte au nez des gardiens de la paix

Le paradoxe n'a donc pas échappé aux organisations syndicales, à l'instar de l'Unsa-Police, qui s'est indigné dans un communiqué le 29 mars : «Cette recommandation n’est pas appliquée en France, le ministère de l'Intérieur préconisant le port des masques uniquement en cas de contact avec un individu "qui présente des symptômes de la maladie."»

Et de dénoncer : «Les policiers ne sont pas médecins et ne peuvent pas juger de l'état de santé de la personne qu'ils vont contrôler ou interpeller, ces instructions sont anormales et honteuses, elles exposent quotidiennement le policier non protégé, donc ses proches, à une possible contamination.»

Plusieurs collectifs et syndicats ont déjà souligné le fait que les mesures visant à restreindre le port du masque de protection individuelle dans les rangs des forces de sécurité démontrait en réalité la pénurie de masques FFP2 dans en France. Ces masques devant même être réquisitionnés dans la police nationale pour aller alimenter les stocks des soignants, et ce malgré les assurances futures d'un réapprovisionnement pour les policiers en «masques chirurgicaux».

Le même problème a été rapporté à RT France par deux surveillantes pénitentiaires qui ont souligné le manque de masques et de gants en latex au sein de cette administration dépendant de la chancellerie. L'une d'entre elles, Guillemette, confinée pour suspicion de Covid-19, a également relaté à RT France les grandes difficultés qu'elle avait rencontrées, seulement pour bénéficier d'un dépistage : «Je suis confinée chez moi et mon mari aussi, du coup, parce qu'il travaille dans les forces de l'ordre, mais je ne sais même pas quand je vais pouvoir retourner travailler. J'ai des symptômes, mais pas de test ! Au CHU où je suis allée, ils ne procédaient au test que pour les soignants et notre administration, évidemment, n'a rien prévu pour nous.»

Un groupe de collectifs veut des suites judiciaires

La coupe est pleine également pour les associations de policiers en colère actuellement réunies en groupe inter-associatif de sept collectifs. L'UPNI a ainsi tweeté dès le 28 mars : «Masques de protection : les consignes éhontées du ministre de l'Intérieur et de son secrétaire d'Etat, contrariées par Interpol et son guide qui nous apporte des précisions claires, précises et surtout honnêtes !»

Cette organisation inter-associative va même plus loin et a produit un communiqué particulièrement vindicatif à l'égard des administrations concernées et les menaçant de poursuites en justice pour obtenir des réparations à différents préjudices : premièrement, les associations estiment que leurs alertes sur le phénomène du suicide au sein des différentes forces n'ont pas été prises en compte par les autorités.

Rendez-vous au procès

Deuxièmement, les collectifs rassemblés jugent que leurs professions ont subi l'opprobre en raison des nombreuses opérations de maintien de l'ordre «mal organisées» face aux Gilets jaunes.

Enfin, ce communiqué qui promet «après la crise, on réglera les comptes !», dénonce «l'exposition sans protection des forces de l'ordre au virus qui frappe notre pays». L'inter-associative invite donc les uniformes victimes du Covid-19 à se manifester auprès des associations pour enclencher une procédure auprès des tribunaux pour obtenir réparation. Parmi les mots-clefs utilisés par les associations sur Twitter, on peut notamment voir apparaître les noms des ministres de la Justice et de l'Intérieur et la mention : «Rendez-vous au procès».

Une de ces associations, Uniformes en danger, a par ailleurs fait savoir à RT France que pendant ce temps, elle faisait en sorte de fournir des masques aux soignants et aux forces de l'ordre dans la mesure de ces moyens financiers.

Droit de retrait : le syndicat VIGI veut mobiliser les CRS

Du côté des syndicats de police, l'organisation VIGI a souhaité récemment s'adresser aux Compagnies républicaines de sécurité (CRS) avec l'intervention de Laurent Nguyen.

Non seulement nos officiers ne doivent pas s'opposer au droit de retrait, mais ils doivent accompagner ceux qui veulent en faire usage

Ce membre d'une CRS du Sud-Est de la France, mais également délégué régional CRS zone Sud-Est pour ce syndicat, a déclaré dans une vidéo à propos des moyens de protection des fonctionnaires : «Pour tous les collègues en CRS, [...] il est vraiment temps de se prendre en main, parce que, visiblement, il n'y a personne qui soit capable de nous protéger. [...] Ceux qui nous envoient aujourd'hui au casse-pipe sans protection, demain, ce seront les mêmes qui nous enverront réprimer la colère sociale... parce que derrière la crise sanitaire, il y aura une crise économique et donc une crise sociale.»

Contacté par RT France, le CRS qui revendique son statut de syndicaliste «en tenue» par opposition aux syndicalistes d'autres formations «qui font la tournée des plateaux mais qui n'ont plus été sur le terrain depuis longtemps», a expliqué pourquoi il était temps, à son sens, de dénoncer les conditions dans lesquelles les CRS exercent leurs fonctions.

Interrogé à propos de son engagement syndical dans une institution parfois surnommée la «petite muette», le CRS assure sans tortiller : «Nous sommes totalement conditionnés pour ne pas parler mais les syndicats ne vont pas assez loin actuellement. Nous arrivons donc à un point où il devient difficile de ne pas être radical.»

Le policier explique ensuite qu'il se trouvait encore très récemment dans le plus grand cantonnement de France réservé aux CRS à Pondorly (Val-de-Marne), du 10 au 24 mars précisément, en pleine pandémie de Covid-19 en France. Une source policière avait déjà relaté la situation dans cet hôtel reconverti en cantonnement de CRS : le septième étage a été réservé récemment aux cas avérés de policiers infectés au Covid-19 et à ceux dont il était suspecté qu'ils soient positifs.

Ceux qui nous envoient au casse-pipe sans protection sont les mêmes qui nous enverront réprimer la colère sociale... parce qu'il y aura une crise sociale

Or Laurent Nguyen, lui, se trouvait à cet étage avant ces mesures, il s'est donc retrouvé avec les positifs, du jour au lendemain... Le fonctionnaire excédé rapporte des scènes étonnantes : «On les croisait dans le couloir à l'occasion, sans protection. Ils n'étaient pas testés, donc pas forcément officiellement positifs, sauf pour ceux qui avaient pu bénéficier d'un diagnostic médical au téléphone. Mais nous avons eu des CRS avec de grosses poussées de fièvre, certains se sont réveillés dans leur chambre n'importe comment, même sous l'armoire !»

A présent, le CRS militant voudrait susciter une réaction de la part de l'administration : «Nous aimerions bien avoir des réponses, des chiffres précis et des informations sur ce virus. Notre administration ne communique pas avec nous et nous en apprenons plus dans les médias.»

Le délégué VIGI pointe également une certaine fébrilité des institutions face à la crise sanitaire : «Dans tous les ministères, ils s'accrochent aux branches et c'est en train de partir à vau-l'eau, on le voit bien.»

Laurent Nguyen dénonce également un phénomène hiérarchique «pyramidal» : «C'est systémique, le problème. Nous le voyons tous les jours : les chefaillons disent que tout va bien à leurs chefs à eux, pour que tout le monde touche sa prime... Mais en haut, ils n'ont pas une vue réelle de la situation. Le système est verrouillé.»

Le CRS s'en amuse presque : «La police nationale règle tous ses problèmes à coups de "rubalise" [ruban de signalisation de la police]... A Nice pour l'Euro 2016, nous n'avions pas de dispositif bélier pour prévoir une attaque terroriste, alors on a mis du ruban... A Pondorly, j'ai retrouvé ce ruban qui tenait les cas suspects à l'écart des autres, on a mis du ruban partout. C'est ainsi quand on n'a pas les moyens en police nationale : un coup de rubalise. Les grands syndicats, eux, ils font des tracts, c'est un peu pareil... Nous, chez VIGI, nous invitons les policiers à faire usage de leur droit de retrait et nous allons même insister pour que les officiers accompagnent les fonctionnaires dans ce choix.»

Nous ne pouvons même pas respecter le confinement entre CRS... Allons-nous devoir nous verbaliser entre collègues ?

Laurent Nguyen insiste : «C'est le rôle des officiers de protéger l'intégrité physique et mentale de leurs subordonnés, c'est-à-dire nous les CRS par exemple. Cela figure en toutes lettres dans le code de la déontologie de la police à l'article R.434-6. Non seulement nos officiers ne doivent pas s'opposer au droit de retrait, mais ils doivent accompagner ceux qui veulent en faire usage. Les policiers qui vont tomber malades après les contrôles de confinement, ce ne sont pas des incidents, c'est systémique ! On peut très bien contrôler des asymptomatiques sans le savoir et tout cela sans protection !»

La maison police en concurrence avec le privé pour importer des masques ?

Le syndicaliste s'étonne également des modalités de réquisition de masques de protection : «Par un décret, le Premier ministre réquisitionne les masques le 3 mars, puis le décret est précisé le 13 mars... Ensuite, le 20 mars, personne n'en a parlé, mais un nouveau décret est venu autoriser les entreprises et les particuliers à commander des masques d'importation à nouveau... Cela signifie que l'administration se retrouve en concurrence avec les grandes entreprises pour en acquérir et équiper ses agents ! Pendant ce temps, le gouvernement continue en revanche de réquisitionner sur le territoire national, y compris dans les rangs de la police depuis le 25 mars ! Et derrière Laurent Nunez [secrétaire d'Etat à l'Intérieur] vient nier la pénurie et nous vendre sa soupe sur des masques chirurgicaux qui seraient bientôt disponibles mais qui ne protègent pas correctement les fonctionnaires !»

Dernier paradoxe soulevé par le CRS en colère : «Le pire, c'est qu'on nous demande de nous confiner, mais dans les cantonnements et dans les véhicules, on fait comment sans matériel de protection ? Nous ne pouvons même pas respecter ces conditions entre CRS... Allons-nous devoir nous verbaliser entre collègues ?», ironise-t-il.

Antoine Boitel