France

Coronavirus : Belloubet demande la libération de 5 000 détenus, les surveillants inquiets

Selon les syndicats des agents pénitentiaires, le ministre a ordonné la sortie de 5 000 détenus afin d'éviter la surpopulation carcérale pendant l'épidémie de Covid-19. Une mesure qui n'est pas forcément du goût de tous les surveillants.

Sous l'égide du garde des Sceaux, Nicole Belloubet, le ministère de la Justice va autoriser la libération anticipée d'environ 5 000 détenus, selon un communiqué de la CGT pénitentiaire du 23 mars. L'organisation syndicale précise que les entrées en prison ont déjà «beaucoup diminué, une dizaine par jour contre plus de 200 habituellement».

Cette décision a été décidée lors de l'audioconférence entre la chancellerie et les syndicats des surveillants pénitentiaires, le 23 mars. Le but : désengorger les prisons en pleine pandémie de Covid-19. Selon Franceinfo, les magistrats devront «prendre des ordonnances dans les prochains jours» pour organiser la libération de détenus en fin de peine, incarcérés «pour des délits mineurs». La radio de service public précise que les aménagements de peine impliquant le bracelet électronique ne pourront pas être mis en place car les techniciens du ministère ne travaillent pas pendant le confinement.

Nous avons vraiment l'impression que ce ne sont pas les bonnes personnes qui sont protégées !

Cette annonce intervient après les déclarations de Nicole Belloubet sur cette même radio, qui a déclaré le 20 mars qu'elle allait «travailler d'une part sur les détenus malades, qui ont d'autres maladies que le coronavirus, et d'autre part sur les personnes à qui il reste moins d'un mois de détention à faire. […] Nous pouvons procéder là à leur retrait des établissements».

C'en est trop pour Nathalie [prénom modifié], surveillante dans un important centre pénitentiaire du sud de la France, contactée par RT France. S'estimant mal représentée par les organisations syndicales du secteur, elle déplore notamment : «Nous, les pénitentiaires, personne ne nous écoute, mais nous avons vraiment l'impression que ce ne sont pas les bonnes personnes qui sont protégées !»

Où sont les 100 000 masques ?

La surveillante voit dans cette décision un geste politique de la part du ministre de la Justice : «J'ai écouté sa porte-parole [Agnès Thibault-Lecuivre] qui s'exprimait à ce sujet sur BFM TV l'autre jour [le 22 mars], elle n'a pas eu un mot pour les surveillants, elle n'a parlé que des détenus. En fait, je pense que le seul objectif de Nicole Belloubet actuellement est de vider les prisons pour avoir la paix sociale dans ses établissements, elle ne veut surtout pas qu'on entende parler d'elle et de son ministère pendant cette crise.»

Les masques promis ne sont jamais arrivés... Ils sont peut-être au ministère ?

Mais surtout, Nathalie dénonce le manque de considération qui a été, à son sens, accordé aux surveillants, particulièrement en matière de protections individuelles. Interrogée sur l'arrivée annoncée de 100 000 masques FFP2 pour ces personnels, elle répond : «Pff, rien n'est arrivé à ma connaissance. Par exemple, dans mon établissement, on a arrêté la palpation des détenus pour éviter les transmissions, mais on n'a ni masque, ni gel, ni de nouveaux gants... On avait déjà l'habitude de travailler aux gants, donc on avait quelques stocks, mais pas assez. Les masques promis, ils ne sont jamais arrivés... Ils sont peut-être au ministère ? Je ne sais pas.»

Contactée par RT France, l'association Uniformes en danger a pour sa part décidé de pallier les éventuels manques en la matière de la part de l'administration, et a commandé des masques destinés aux personnels qui sont en contact avec le public.

Nicole Belloubet a-t-elle changé d'«optique» en six jours ?

Interrogée par 20 Minutes le 17 mars, Nicole Belloubet avait en tout cas déclaré que 100 000 masques devaient être distribués à certains surveillants : «Nous avons décidé aujourd'hui de lancer la distribution de 100 000 masques. Ils seront d’abord livrés aux personnels qui ont été en contact avec des détenus positifs au Covid-19 ou qui sont susceptibles de l’être. Et déployés partout via les directions interrégionales.»

Concernant le gel hydroalcoolique, la ministre avait précisé : «[Il] est interdit en détention pour les détenus. Mais je n’ai pas eu de remontée du terrain évoquant une quelconque pénurie de savon. Si tel est le cas, nous fournirons bien sûr les moyens adéquats.»

Par ailleurs, Nicole Belloubet semble avoir fait évoluer son point de vue concernant les libérations anticipées. Interrogée par le quotidien gratuit à ce sujet, elle s'était exclamée, seulement six jours avant la décision du 23 mars : «Nous ne sommes pas du tout dans cette optique-là !»

Il n'y a que les détenus pour nous dire qu'ils ont besoin de nous !

Changement de pied ? Coup de com ? Selon la surveillante, Nathalie, Nicole Belloubet est peut-être mal entourée à la chancellerie : «Ce qui est sûr, c'est que les gens qui la conseillent, ils ne travaillent pas dans les prisons ! Nous, en revanche, nous voyons la situation se détériorer. J'ai un détenu brésilien dans mon centre, il m'a dit qu'il avait connu la détention dans son pays et que nos centres s'en approchaient de jour en jour. C'est horrible pour les collègues toutes ces menaces, violences et même les mutineries, comme à Uzerche. C'est terrible, ils ont tous des portables et les mutineries tournent sur Snapchat.»

Un soulèvement impliquant quelque 200 détenus a eu lieu au centre de détention d'Uzerche (Corrèze) le 22 mars et l'épisode a été capté en vidéo par un des mutins avant que le calme ne revienne dans la soirée.

Nathalie s'inquiète des conséquences potentielles de la libération de détenus en fin de peine voulue par la chancellerie : «J'espère que ceux qu'ils vont libérer ne se trouvaient pas dans ces émeutes au moins... Cela paraît étonnant, mais c'est du déjà-vu : un détenu peut parfois agresser un surveillant le lundi et sortir le mardi uniquement parce que la nouvelle n'est pas remontée assez vite dans l'administration !»

Mais la surveillante, qui doit garder son portable sur elle à tout moment en cas d'astreinte en cette période de crise, rappelle aussi son engagement : «Ce n'est pas parce qu'on rate le concours de police qu'on devient surveillant pénitentiaire, moi j'aime ce que je fais. Mais là, en ce moment, c'est très dur. Personne ne semble penser à nous. Nous n'avons pas de moyens de protection et cela ne semble pas être le sujet actuel. Il n'y a que les détenus pour nous dire qu'ils ont besoin de nous, figurez-vous !»

Antoine Boitel