Le quotidien économique les Echos a rapporté le 21 mars que la chloroquine, l'antipaludéen qui soulève nombre d'espoirs dans la lutte contre le Covid-19, allait rejoindre prochainement le programme d'essai clinique à grande échelle Discovery supervisé par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Le médicament, promu comme remède potentiel au Covid-19 par le professeur Didier Raoult, avait dans un premier temps été écarté avant que les résultats d'un premier essai mené à Marseille ne le remette sur le devant de la scène. L'étude dans laquelle la chloroquine est désormais incluse sera menée sur 3 200 patients en Europe et 800 en France.
L'étude, précise Les Echos, débute ce 22 mars dans les CHU de Paris, Lyon, Nantes et Lille et sera étendue par la suite. Les autres médicaments testés seront un anti-VIH (le Kaletra, laboratoire AbbVie), combiné dans un autre groupe à de l'interféron bêta, et le Remdesivir (laboratoires Gilead), un antiviral développé contre Ebola. Annoncés le 11 mars, des essais lancés sur ces médicaments n'incluaient pas la chloroquine, en raison, avançait-on à l'époque, d'interactions médicamenteuses et des problèmes d'effets secondaires, notamment sur les patients en réanimation.
Le ministre de la Santé Olivier Véran avait déjà déclaré le 17 mars : «J'ai pris connaissance des résultats et j'ai donné l'autorisation pour qu'un essai plus vaste par d'autres équipes puisse être initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients», précisant que ces essais «ont déjà commencé à Lille je crois».
Des résultats encourageants... qui ont traversé l'Atlantique
Au sein de l'lnstitut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, qu'il dirige, Didier Raoult affirme avoir constaté des résultats spectaculaires sur 24 patients atteints par le coronavirus ayant été traités au Plaquenil (hydroxychloroquine). Six jours plus tard, selon cette étude, seulement 25% étaient encore porteurs du virus alors que 90% de ceux qui n'en avaient pas reçu ce traitement étaient toujours positifs. Les effets de ce traitement seraient encore plus impressionnants combinés avec de l'azithromycine, un antibiotique contre la pneumonie bactérienne.
Bien que menés sur un faible nombre de patients, les travaux du professeur Raoult ont traversé l'Atlantique en un temps record : «Hydroxychloroquine et azithromycine, pris ensemble, ont une réelle chance d'être l'un des plus grands changeurs de jeu de l'histoire de la médecine», a déclaré le 21 mars sur Twitter le président américain Donald Trump, qui a entre autres retweeté un message reprenant les conclusions de l'étude du professeur Raoult.
«C'est très excitant. Je pense que cela pourrait changer la donne. Ou peut-être pas. Mais d'après ce que j'ai vu, cela pourrait changer la donne», a déclaré par ailleurs Donald Trump au cours d'une conférence de presse le 20 mars.
Parallèlement, la Food and Drug Administration (FDA), l'organisme fédéral qui supervise la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis, tout en soulignant que le traitement n'avait pas été approuvé pour le coronavirus, a dit mettre en place «un essai clinique étendu» sur la question.
Après les déclarations de Donald Trump, la société israélienne de vente de médicaments génériques Teva s'est engagée a fournir gratuitement six millions de doses d'hydroxychloroquine aux hôpitaux américains d'ici le 31 mars, et plus de dix millions d'ici un mois.
Absence de label et signalement pour «fake news»
En France, les annonces successives de Didier Raoult on un temps provoqué le scepticisme d'une partie des professionnels de santé.
«Tous les spécialistes que j’ai vus disent que la chloroquine, "à chaque fois qu’il y a un nouveau virus, il y a un type qui dit que ça va marcher"», avait notamment déclaré le 1er mars Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris sur Europe 1, en ajoutant que la chloroquine «n’a jamais marché chez un être vivant».
Toujours sur Europe 1, le 27 février, Gilbert Deray, néphrologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, avait estimé que le médicament était «inutile et dangereux» en raison de ses effets secondaires.
L'lHU de Marseille, inauguré en mars 2018, n'a pas bénéficié du label du CNRS et de l'Inserm en raison d'avis défavorables déposés en 2017, rapportait à l'époque le média Marsactu. Le média évoquait en outre «un conflit ancien» entre Didier Raoult et Yves Lévy, le PDG de l'Inserm et par ailleurs époux de l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn. Cette absence de label a, selon Les Echos, fait défaut à l'institut de recherche dans la promotion de son travail sur la chloroquine dans la lutte contre le Covid-19.
Autre élément ayant entaché la réputation du professeur marseillais en France, l’estampillage d'une de ses vidéos publiée fin février comme «partiellement fausse» sur Facebook. La vidéo a été signalée, rappelait Marianne le 19 mars, par la branche de «fact-checking» du Monde, les Décodeurs, sur lequel le réseau social s'appuie. Le signalement a été, selon l'hebdomadaire, retiré par la suite après que la vidéo a été renommée. Dans une autre de ses vidéos, le scientifique se plaignait d'ailleurs d'avoir vu son travail qualifié de «"fake news" pendant 36 heures inscrit sur le site du ministère de la Santé».
Vers un changement de cap ?
Mais depuis les derniers rebondissements de cette affaire, les avis semblent évoluer sur la question : «J’ai dit il y a deux semaines que les données dispo sur la chloroquine étaient "bullshit" [...] De nouvelles données dont venant de Marseille contredisent ce que j’ai dit et ce que je pensais», a notamment déclaré sur Twitter le 12 mars un spécialiste de la Pitié-Salpêtrière, Alexandre Bleibtreu, précisant qu'ils allaient «débuter le traitement par Plaquenil chez nos COVID+ à la Pitié [Salpêtrière]».
«Répéter que la chloroquine peut être dangereuse car on lui impute de potentiels effets secondaires sans même connaître la molécule, dans le contexte actuel, est irresponsable», s'indignait pour sa part Didier Raoult auprès de Marianne le 20 mars.
Selon les Echos, les résultats de ces tests pourraient être connus dans moins de six semaines.