France

Armement sublétal : le LBD 40 de Brügger & Thomet a-t-il bénéficié d'une décision de classement ?

Le lanceur de balle de défense fabriqué par l'entreprise suisse Brügger & Thomet qui a fait polémique en France après de multiples blessures infligées aux manifestants, et notamment aux Gilets jaunes, a-t-il suivi le parcours administratif légal ?

Un communiqué de la société bretonne RedCore, bureau d'études de solutions de défense destinées aux forces de l'ordre, en date du 26 janvier, livre quelques nouvelles informations concernant le lance-grenade GL-06 de Brügger & Thomet, plus connu en France sous le nom de LBD 40.

Dans son combat pour faire reconnaître les qualités de son propre LBD, le Kann44, initialement destiné aux polices municipales françaises, le président de la société RedCore, Gaël Guillerm, a demandé par la voix de son avocat à la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de bien vouloir lui communiquer le document rendant compte de la décision de classementdu LBD 40, actuellement en dotation dans les forces de sécurité françaises de la police nationale et de la gendarmerie.

Réponse lapidaire de la CADA : «La ministre [des Armées] a indiqué que le document visé n'existe pas.»

Les armes en France sont normalement classées selon leur niveau d'accessibilité au public ou aux forces de sécurité. Les armes de guerre telles que les obusiers, les canons et les LBD 40 sont en théorie classées en A2, mais leurs munitions et les lanceurs tels que le Flash Ball utilisé par les polices municipales sont classées en B, par exemple.

Pour accéder à un classement, une décision doit être rendue par les autorités compétentes après que l'arme en question a été éprouvée dans les centres spécialisés, tels que le centre de recherche, d'expertise et d'appui logistique (CREAL) basé au Chesnay dans les Yvelines pour la police nationale et la gendarmerie d'une part et le centre de la direction générale des Armées techniques et terrestres basé en périphérie de Bourges dans le Cher, d'autre part. 

Le ministère des Armées est responsable du classement pour une arme de guerre en A2 et le ministère de l'Intérieur pour une arme classée en B, par exemple.

Après cette communication de la CADA, il n'en fallait pas plus à l'entrepreneur breton pour déclarer dans son communiqué : «Le point N°5 confirme l'absence de décision de classement concernant le LBD 40 de Brügger & Thomet, ce qui atteste que son usage est administrativement illégal au regard du Code de la Sécurité Intérieure.»

Et de s'interroger : «Que vont penser les victimes mutilées par une arme illégale mise en dotation sans critères de dangerosité réglementaire dans un pays qui revendique haut et fort être la terre des Droits de l'Homme ?»

En effet, dans un courrier en date du 4 octobre 2019 de la part du ministère de l'Intérieur au Conseil d'Etat, Beauvau assurait pourtant : «Un fabricant d'arme ne saurait mettre sur le marché un modèle qu'il a développé sans que ce modèle ait, au préalable, fait l'objet d'une décision de classement.»

Le fabricant breton soulève donc un paradoxe pour le moins étonnant de la part de l'administration française et, après une nouvelle audience devant le Conseil d'Etat le 27 janvier, a déclaré à RT France qui était présent pour suivre l'affaire, que la France vivait un contexte de «dictature administrative».

Il s'agissait, selon lui, d'une forme de réponse ironique aux récents propos d'Emmanuel Macron qui au retour d'un voyage en Israël a fait part de ses observations sur le fonctionnement démocratique français à des journalistes : «Mais allez en dictature ! Une dictature, c'est un régime ou une personne ou un clan décident des lois. Une dictature, c'est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c'est cela, essayez la dictature et vous verrez ! La dictature, elle justifie la haine. La dictature, elle justifie la violence pour en sortir.»

Pour mémoire, le fabricant suisse Brügger & Thomet n'a pas remporté le nouvel appel d'offres à l'automne 2019 destiné à réassortir les LBD 40 qui équiperont à l'avenir les forces de sécurité intérieures françaises, puisque c'est la société Alsetex qui a gagné ce marché, mais le lanceur suisse continuera logiquement d'être utilisé jusqu'à l'usure des stocks disponibles.

Antoine Boitel

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