Tourner la page Sylvie Goulard, tel est l'objectif d'Emmanuel Macron, fortement affaibli au sein de l'Union européenne, après le rejet en octobre de la candidature française Sylvie Goulard au sein de la prochaine Commission européenne. Il a ainsi choisi un Macron-compatible assumé, rallié à la candidature du marcheur avant le 1er tour de la présidentielle 2017, après le retrait d'Alain Juppé de la course.
Le 23 octobre, le président a donc proposé un Français qui semble coller avec le profil attendu au sein de l'Union européenne, Thierry Breton. A 64 ans, cet actuel PDG du groupe Atos, ex-ministre de l'Economie sous Jacques Chirac entre 2005 et 2007, est un libéral assumé et européiste. Dirigeant d'une société du Cac 40, il a auparavant été à la tête de plusieurs entreprises comme Thomson, France Télécom ou Bull. Ce profil semble de fait correspondre avec le costume de commissaire européen qui aura pour compétences la politique industrielle, le marché intérieur, le numérique, la défense et l'espace.
Mais ce choix fait grincer les dents plusieurs commentateurs. D'autant plus que le «en même temps» turbine à plein pot. Comment en effet comprendre la volonté de l'Elysée de souhaiter que la République en marche se dote d'un pôle de gauche et, en parallèle, promouvoir un ex-ministre qui a notamment favorisé plusieurs privatisations ? Il a notamment été l'un des artisans en 2005 de l'une des privatisations les plus contestées, celle des autoroutes. L'opération se fera l'année suivante, l’Etat vendant ses participations dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes, à l'instar du groupe Vinci. Il a été aussi à l'œuvre pour la privatisation de France Télécom. Son action politique s'est aussi résumée à une attitude prônant la rigueur budgétaire, avec des coupes dans les finances publiques comme dans la fonction publique.
Thierry Breton, accusé de conflit et de prise illégale d'intérêts
Si Thierry Breton a connu une carrière sans casserole judiciaire à ses basques, Anticor assure toutefois dans un tweet qu'il est visé depuis le 27 septembre par une plainte par l'association pour prise illégale d'intérêts.
Il s'agit d'une plainte contre X avec constitution de partie civile dans laquelle Thierry Breton serait visé «pour délit de favoritisme et prise illégale d'intérêts», selon le média Reflets.info, qui a pu consulter la plainte. Le site internet affirme que l'avocat d'Anticor, Jérôme Karsenti, «y explique notamment que le ministère de l'Economie et des Finances a été "un acteur central" de quatre marchés "faramineux" passés entre l'Etat et des société du groupe Atos». Reflets.info poursuit : «Son actuel PDG, Thierry Breton, et un autre de ses dirigeants, son ancien directeur de cabinet à Bercy, Gilles Grapinet, auraient pu, dixit la plainte de l'association anti-corruption "influer sur la signature" desdits contrats quand ils étaient au ministère, "constituants ainsi le délit de prise illégale d'intérêts tel que prévu et réprimé par les articles 432-12 et 432-13 du Code Pénal".»
Le média en ligne précise d'ailleurs qu'«une enquête préliminaire est [...] ouverte au parquet national financier (PNF) depuis 2016, à la suite déjà d'un signalement d'Anticor». Celle-ci serait néanmoins au point mort.
Au-delà de cette affaire, des politiques s'interrogent également sur un possible conflit d'intérêts entre Thierry Breton et sa future mission au sein de la commission. Atos est en effet un fournisseur de services informatiques de l'Union européenne. La députée européenne de La France insoumise (LFI) Manon Aubry s'interroge ainsi sur Thierry Breton, «un patron du CAC 40, dont l'entreprise reçoit des millions de subventions européennes !». «Niveau prévention des conflits d'intérêts, c'est pas encore ça !», s'exclame-t-elle également.
Le député du Parti communiste André Chassaigne n'exclut d'ailleurs pas que les eurodéputés puissent de nouveau rejeter la candidature de Thierry Breton pour ce possible conflit d'intérêts.
D'ici fin novembre, le candidat devra donc convaincre des eurodéputés, mieux que ne l'a fait Sylvie Goulard.