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PMA pour toutes : ces trois questions qui font débat

Sujet sociétal explosif de la rentrée, la PMA pour les couples de femmes et femmes seules soulève de nombreux enjeux. L'Académie de médecine a par exemple émis des réserves sur le projet, balayées par le gouvernement. Eclairage.

L'Assemblée nationale a adopté le 27 septembre l'article permettant l'ouverture à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes et les femmes seules. La «PMA pour toutes» est toutefois incorporée dans la loi bioéthique, qui doit elle aussi être adoptée par un vote solennel de la chambre basse du Parlement. Soutenu par une bonne partie de la gauche (comme le Parti socialiste et la plupart des Insoumis), les macroniens et autres centristes, le projet est vu par ceux-ci comme «un progrès». Ce sujet sociétal est pour autant complexe. «Le progrès», annoncé par certains, pourraient pour d'autres s'apparenter à une régression ou entraîner l'arrivée de nouveaux problèmes.

En tout état de cause, l'extension de la PMA met sur la table plusieurs enjeux, éthiques, financiers, moraux ou encore scientifiques.

«La PMA pour toutes» entraîne-t-elle une «rupture anthropologique» ?

Le gouvernement et les promoteurs de la PMA pour toutes ont notamment été mis mal à l'aise par l'avis de l'Académie nationale de médecine (ANM) du 18 septembre.

Cette institution indépendante estime que «la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure qui n'est pas sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant». L'ANM ajoute : «L'argument régulièrement avancé pour rejeter le risque pour un enfant se fonde sur certaines évaluations, essentiellement dans quelques pays anglo-saxons et européens, faisant état de l'absence d’impact avéré sur le devenir de l'enfant. L'ANM ne juge pas très convaincantes ces données au plan méthodologique, en nombre de cas et en durée d’observation sur des enfants n'ayant pas toujours atteint l'âge des questions existentielles.»

L'Académie considère également «que, de plus en plus malmenée par les évolutions sociétales, la figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l'enfant comme le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues».

La ministre de la Santé Agnès Buzyn a répliqué sur LCI le 22 septembre en balayant du revers de la main les réserves de l'ANM, jugeant l'avis de celui-ci «peut-être» politique et idéologique et «peut-être daté». L'avenir et le progrès seraient donc sans contestation dans la PMA pour toutes selon la ministre.

«Donner une mère seule pour famille n'est pas un progrès social», conteste pour sa part la députée et ex-marcheuse Agnès Thill devant l'Assemblée nationale le 24 septembre. Agnès Thill, exclue par La République en marche (LREM) pour ses propos controversés contre le projet de loi, a été incisive contre la majorité ce jour-là : «Votre loi est criminelle, c'est s'offrir un être humain, [alors que l'homme n'est] ni un objet, ni une promesse de campagne.»

Les services publics d'AMP ont-ils la capacité d'assurer les nouvelles demandes ?

L'ANM craint également le nouveau rôle qui sera confié à la Sécurité sociale. Avec la nouvelle loi, la médecine ne servira plus à pallier une pathologie, pouvant solutionner une infertilité chez les couples hétérosexuels. Elle aura par ailleurs une mission sociale, tout autant remboursée par le citoyen, liée au désir d'enfant d'un couple lesbien ou d'une femme célibataire.

Les médecins ne comprennent pas qu'on puisse considérer de la même façon les indications médicales et les demandes sociales

L'ANM souligne ainsi «l'actuel équilibre fragile entre donneurs et couples hétérosexuels infertiles demandeurs d’une IAD [insémination artificielle avec sperme du donneur], avec un délai moyen d’un à deux ans entre la demande et sa réalisation». Pour l'Académie, «il apparaît évident que la demande accrue du fait de l'extension prévue de l'AMP [assistance médicale à la procréation] entraînera un déficit de spermes et un allongement des délais portant préjudice aux couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité qui relève pourtant d’une indication véritablement médicale». Elle ajoute que «dans les faits, il s'agira donc pour ces couples [hétérosexuels infertiles] d’une régression dans leur prise en charge et il reviendra aux médecins de l'expliquer aux patients». Et l'Académie d'enfoncer le clou : «Les médecins ne comprennent pas qu'on puisse considérer de la même façon les indications médicales et les demandes sociales.»

Le député européen Les Républicains (LR) et philosophe François-Xavier Bellamy a tenu des propos similaires dans le JDD du 15 septembre : «Depuis son apparition, la médecine a pour but de remédier à la maladie. Dans ce cadre, la loi autorisait la PMA pour pallier une infertilité pathologique, qui devait être médicalement constatée. Si nous supprimons ce critère, la technique médicale ne servira plus à rétablir l'équilibre de la condition humaine, mais à dépasser ses limites.»

L'ANM se préoccupe au demeurant du financement «de ce choix sociétal personnel par l'Assurance-Maladie», qu'elle estime ne pas être «cohérent avec les missions qui lui sont assignées». La PMA est actuellement prise en charge intégralement par la Sécurité sociale pour les couples hétérosexuels, victimes d'une infertilité liée à une pathologie ou une raison biologiquement reconnue comme non identifiée.

D'après une enquête duFigaro le 25 juillet 2019, la PMA pour toutes concernerait par an près de 3 000 femmes pour un coût estimé de 15 millions d'euros. «Il est inimaginable d’envisager un remboursement différent selon que vous soyez homosexuelle ou hétérosexuelle. On ne remplace pas une discrimination par une autre discrimination», justifie sur France info Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes. «Aujourd’hui, la Sécurité sociale prend déjà en charge toute une partie des frais des femmes qui vont faire une PMA à l'étranger donc la différence de coût pour la Sécurité sociale est très faible», complète sur Europe 1 le rapporteur de la loi et député LREM Jean-Louis Touraine qui confirme une «augmentation du budget PMA de la Sécurité sociale sera de l'ordre de 15 à 20%».

Le financement n'est peut-être pas si lourd sur le papier, mais il semble, malgré tout, entrer en contradiction avec les discours alarmistes du gouvernement sur la santé financière de la Sécurité sociale. Les estimations font état d'un trou, au niveau du financement de la sécurité sociale, d'environ cinq milliards d'euros pour 2019. Un déficit largement lié à la mise en place sous le quinquennat Hollande, puis poursuivi sous Emmanuel Macron, d'une baisse massive des cotisations sociales payées par les employeurs, finançant une partie de la Sécurité sociale.

Autre point que le gouvernement n'a pas encore tranché, nonobstant l'alerte de l'ANM : comment éviter la saturation des services publics de PMA alors que ceux-ci le sont déjà pour une bonne partie ?

La situation des hôpitaux, dans leur ensemble, est en crise. Une centaine de personnalités françaises et près de 400 médecins chefs de service, qui avaient réclamé le 22 septembre des «états généraux» de l'hôpital public, ont écrit une lettre le 2 octobre pour alarmer l'opinion publique et l'exécutif sur les conditions de travail de plus en plus précaires dans ce secteur, l'épuisement du personnel ou encore le manque d'effectifs au sein des établissements. Résoudre le sort de l'hôpital public ne doit-il pas être un préalable avant de l'engorger davantage ?

La PMA pour toutes : vers une fausse promesse d'égalité ?

Les pro-PMA pour toutes justifient la loi, notamment, par le principe d'égalité des droits entre couples hétérosexuels et couples lesbiens.

Qu'en est-il, néanmoins, de l'égalité entre d'une part les couples hétérosexuels, les couples de femmes et les femmes seules, et d'autre part les couples d'hommes et les hommes célibataires, qui eux n'auront pas accès à la PMA ? Ceux-ci sont absents du projet de loi bioéthique. D'aucuns pourraient donc considérer qu'intellectuellement, le principe d'égalité ne peut pas être invoqué pour légitimer ce projet. A moins que la Gestation pour autrui (GPA) – refusée pour l'instant le gouvernement sur la crainte de la marchandisation du corps – venait à entrer en vigueur et mettre tous les types de célibats et couples sur un même pied d'égalité. Un égalitarisme craint par de nombreux opposants à la PMA pour toutes, comme le député Les Républicains (LR) Eric Pauget : «Cette mesure s’affirme comme particulièrement discriminatoire à l’encontre des couples d’hommes et des hommes non-mariés qui ne serait être résolue sans leur reconnaître plus tard le droit à la GPA.»

Le député centriste non-inscrit Jean Lassalle, lui aussi opposé à la PMA pour toutes, juge sur France Bleu «inévitable» une loi prochaine pour légaliser la GPA et dévoile sa crainte : «Comme la PMA donnera satisfaction aux couples féminins, il faudra donner satisfaction aux couples masculins.»

De même, l'ex-député LREM et docteur en médecine Joachim Son-Forget, opposant au texte, ne se considère pas dupe : «Dire oui à la PMA "et bien sûr non à la GPA" est une illusion.» Il pointe en outre une contradiction dans le langage des pro-PMA pour toutes : «Acclamant une vision essentialiste et marxiste, réduisant l’individu à une construction et faisant fi de la biologie et de son bagage génétique, ils pensent les gamètes comme un simple véhicule et un bien commun à partager, mais ils ne donnent pas les leurs pour autant.»

Une minorité de macronistes a par ailleurs osé afficher une opposition au projet de loi à l'instar de la parlementaire du Rhône Blandine Brocard, également inquiète d'une légalisation prochaine de la GPA sur le principe de l'égalité.

Une manifestation contre la PMA pour toutes aura lieu le 6 octobre à Paris, à l'initiative entre autres de la Manif pour tous, engagée depuis plusieurs années dans l'abrogation du mariage pour tous. Plusieurs politiques, principalement de droite, ont déjà exprimé leur soutien à ce rassemblement comme deux des trois candidats à l'élection pour la présidence du parti LR, les députés Julien Aubert et Guillaume Larrivé, l'eurodéputé LR François Xavier Bellamy, le député de Résistons! Jean Lassalle, l'ex-députée du Front national Marion Maréchal ou le député européen du Rassemblement national Gilbert Collard.

Bastien Gouly

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