La Sécurité sociale garde un œil attentif sur le mouvement des Gilets jaunes et sur les bénéficiaires de l'assurance maladie qui y prennent part. Une précaution à n'en pas douter légitime pour prévenir d'éventuels abus, mais qui ne manque pas d'interpeller dans certains cas. Ainsi, Dimitri Alleaume, un Gilet jaune de l'Eure, a eu la mauvaise surprise de recevoir un courrier du service de lutte contre les fraudes de l'organisme, qui lui adressait un rappel à la réglementation.
Sa faute ? Avoir administré un compte Facebook de Gilets jaunes alors qu'il était en arrêt de travail. L'organisme, qui lui rappelle que selon l'article L323-6 du code de la Sécurité sociale, il est dans l'obligation de «s'abstenir de toute activité non autorisée» pendant son arrêt de travail, estime en effet qu'il a exercé «des activités incompatibles avec ces obligations en tant qu'administrateur du groupe Facebook "Blocage en marche 27"». «Vous avez géré ce compte, participé à des manifestations, et donné diverses interview dans différents médias», précise en outre la Sécurité sociale dans ce courrier daté du 25 juillet, auquel RT France a eu accès.
«Oui j'ai géré ce compte, j'ai participé à des manifestations et donné des interview dans différents médias. Mais j'ai respecté mes heures de sortie légales, donc je ne comprends pas le but de ce courrier», explique Dimitri Alleaume à RT France. En arrêt du 15 au 24 novembre 2018 pour dépression, puis 30 novembre au 5 janvier après s'être coincé le dos dans le cadre de son travail, il affirme avoir respecté les recommandations de son médecin, qui non seulement n'avait émis aucune restriction à la sortie de son domicile, mais l'avait également encouragé à ne pas rester enfermé, afin de rencontrer du monde.
Je pense que c'est un moyen de pression
Surtout, Dimitri Alleaume ne comprend pas en quoi l'administration de sa page Facebook pose problème : «C'est aberrant. On peut gérer une page Facebook de chez soi. Il ne faut pas de grandes capacités physiques pour cela.» Selon lui, le fait que l'Assurance maladie ait mis ce point en avant n'est pas dénué d'arrière-pensées politiques. «Je pense que c'est un moyen de pression. C'est une intimidation. C'est pour faire comprendre que vous pouvez avoir des convictions, des choix politiques quelconques, mais qu'à partir du moment où vous commencez à déranger, on vous dit "restez à votre place, parce qu'on a des moyens de pression"», estime-t-il. «J'ai l'impression qu'on mène une cabale contre les Gilets jaunes, alors qu'on est un mouvement pacifiste, on est arrivés dans la rue parce que tout augmentait et on en avait marre», soutient-il encore.
La démarche interpelle d'autant plus que Dimitri Alleaume n'administrait pas cette page sous sa propre identité, mais en utilisant un pseudonyme, ce qui interroge sur la façon dont l'organisme est parvenu à remonter jusqu'à lui : «Je m'aperçois qu'on est observés, surveillés sur nos activités, dès qu'on commence à avoir trop de poids dans ce conflit social. Depuis le début du mouvement, on a l'impression qu'on est fichés, catalogués comme des gens qui provoquent des troubles ou je ne sais quoi. C'est hallucinant d'en être arrivé là aujourd'hui.»
Dans quelle mesure un malade peut encore avoir une vie sociale ?
D'un point de vue légal, Maître Villatte de Peufeilhoux, avocat au barreau de Marseille, se demande en quoi administrer un compte Facebook serait incompatible avec le fait d'être en arrêt de travail et donc susceptible de remettre en cause le versement des indemnités journalières.
«Dans ces conditions-là, ça voudrait dire que n'importe qui, qui se retrouverait en arrêt de travail, n'aurait finalement plus le droit à aucune activité. Et là se poserait la question de savoir dans quelle mesure un malade pourrait encore avoir une vie sociale», explique-t-il à RT France.
Des considérations qui n'entament en rien la détermination de Dimitri Alleaume à poursuivre un combat qu'il estime légitime. «Avoir tous ces bâtons dans les roues renforce encore plus nos convictions et notre envie d'aller jusqu'au bout», clame-t-il, avant de conclure : «Le combat va être dur, mais c'est pas pour autant que je m'arrêterai.»