Jean-Luc Mélenchon s'est fendu, le 1er juin, d'une tribune quelque peu mystérieuse. Depuis la déconvenue de La France insoumise (LFI) lors des élections européennes (6,31% des suffrages) le 26 mai, le chef de file des députés insoumis se fait discret. Un silence qu'il explique par le fait qu'il se «repose». «C’est normal au terme de près d’un an de campagne dans laquelle j’ai été très investi en même temps que je menais ma vie de parlementaire», déclare-t-il. Il confesse sur son blog et sur Facebook qu'il en dira plus largement «après le 6 juin». Pourquoi fait-il languir ses partisans ?
Je suis au combat et j’y resterai jusqu’à mon dernier souffle, si je le peux
Le candidat à la présidentielle prévient également les médias, qui «fantasmeraient» sur un éventuel coup de fatigue : «Je ne déprime pas, je ne pars pas à la retraite. Je suis au combat et j’y resterai jusqu’à mon dernier souffle, si je le peux».
Toutefois, quelques-unes de ses lignes rendent caligineux son ambition future. «La nature de mon engagement n’est pas celui d’une carrière (au demeurant la mienne serait faite) mais plutôt de l’ordre d’un chemin de vie», écrit-il notamment. Il conclut d'ailleurs sur une énigmatique allusion : «Il faut imaginer Sisyphe heureux.» Sisyphe étant ce personnage de la mythologie grecque condamné à faire éternellement rouler un rocher jusqu'au sommet d'une colline, sans jamais pouvoir l'atteindre.
Un état d'esprit qui rappelle celui de 2014. Après les élections européennes de la même année, le Parti de gauche mené par Jean-Luc Mélenchon ne parvenait pas, non plus, à confirmer l'élan de la présidentielle de 2012, n'obtenant sur le plan national que 6,61% des voix. Durant l'été 2014, Jean-Luc Mélenchon prit la surprenante décision de démissionner et de se retirer de la codirection du Parti de gauche. A l'époque, il avouait pour le site Hexagones : «J'aspire à ce que le niveau de pression sur moi baisse [...] J’ai besoin de dormir, de ne rien faire, de bayer aux corneilles.» Il revint revigoré quelques semaines plus tard, prêt à s'élancer pour la bataille présidentielle.
Jean-Luc Mélenchon vit-il la même situation ? Possible. En tout état de cause, un conflit idéologique agite La France insoumise, mouvement qu'il a bel et bien propulsé sur le devant de la scène lors de la présidentielle de 2017. Il explique malgré tout, le 1er juin, n'être «ni choqué ni meurtri d’aucune expression critique». Reste que La France insoumise apparaît vacillante sur son programme. La première attaque post-élection européenne du 26 mai n'a en effet pas tardé. Elle est venue de la députée LFI Clémentine Autain le 27 mai dans L'Obs. L'élue de Seine-Saint-Denis reproche, via des allusions à peine voilées, la stratégie de 2017, populiste, qui serait selon elle toujours dominante au sein de LFI. Quand bien même, la «tendance souverainiste» au sein du parti semble avoir été peu à peu délaissée.
«Je veux rassembler le peuple sur une base de gauche», fait valoir Clémentine Autain. Il s'agit là ni plus ni moins d'une pique directe contre la base programmatique de LFI, née durant la campagne de 2017, au cours de laquelle la notion de gauche était clairement évincée des discours. Clémentine Autain ose, en outre, défier certaines prises de position du leader, lui reprochant, entre autres, de ne pas avoir soutenu «l’appel en faveur de l’accueil des migrants, lancé par Mediapart, par Politis et par Regards».
Jean-Luc Mélenchon est-il dépassé par la ligne «gauchiste» à LFI ?
Jean-Luc Mélenchon a-t-il lui-même l'impression de perdre la main sur la ligne de La France insoumise ? Se sent-il coupable d'avoir donné des gages à la ligne défendue par Clémentine Autain depuis 2018 ? Certains tenants de la ligne souverainiste au sein de LFI, comme François Cocq ou Djordje Kuzmanovic, ont dénoncé le basculement idéologique dans les discours de Jean-Luc Mélenchon, et l'arrivée de nouveaux cadres «issus du militantisme gauchiste». Ils pointent du doigt des harangues mettant en avant l'unité de la gauche, au détriment du rassemblement du peuple, au-dessus des clivages. Ce fut le cas, notamment, lors des interventions de Jean-Luc Mélenchon au congrès du Parti de gauche et lors des universités d'été de Nos causes communes (un mouvement politique fondé par l'ancien socialiste Emmanuel Maurel) en 2018. Durant la même année, les deux membres LFI susnommés, influents, se font écarter ou pousser vers la sortie. Dans un tweet du 5 janvier 2019, Jean-Luc Mélenchon décrira même François Cocq comme un «nationaliste».
Et en même temps... Jean-Luc Mélenchon a eu l'art de brouiller les cartes en assurant à tout-va, pendant la campagne des européennes 2019, que la ligne de LFI n'avait pas changé. Mais cela n'a pas convaincu les 19,58% des électeurs de la présidentielle 2017 de revenir dans le giron insoumis. Avec 6.31% des suffrages, les élections européennes de 2019 ont sonné comme une défaite inattendue, dans une France qui vivait depuis près de sept mois le mouvement des Gilets jaunes. La France insoumise a ainsi échoué à capter la colère sociale. Au diapason de son intervention au soir du scrutin, Jean-Luc Mélenchon a peut-être vécu ce moment comme un coup de bambou sur la tête insoumise.
Le Monde avance le 4 juin que, dans l'entourage de Jean-Luc Mélenchon, «tous laissent entendre qu’il prendra du champ, de la hauteur, pour s’extraire de la gestion quotidienne». Un sorte de «repli stratégique», selon le quotidien.
Jean-Luc Mélenchon ressent peut-être avec impuissance la ligne de LFI muter. Il faut dire que Clémentine Autain n'est pas isolée au sein du groupe parlementaire de LFI, pouvant recevoir le soutien de Danièle Obono par exemple, considérée comme proche de «la ligne Autain». Offensive, Clémentine Autain a d'ailleurs frappé une nouvelle fois, le 4 juin, en publiant une tribune, s'apparentant à un lobbying intellectuel visant les formations politiques de gauche. Appelant à un «big bang» à gauche, cet appel a été signé par de nombreuses personnalités, issus de divers partis, autres que LFI, tels que les députés Elsa Faucillon et Stéphane Peu (Parti communiste) ou Régis Juanico (Génération.s). Ils appellent clairement à une alliance future «entre insoumis, communistes, anticapitalistes, socialistes et écologistes». Jean-Luc Mélenchon n'a pas signé le texte. Tout un pan de La France insoumise et de la gauche ne chercherait-il pas à tourner la page Mélenchon ?
Bastien Gouly