Que s’est-il vraiment passé le 1er Mai à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, en marge du défilé parisien ? Une trentaine de personnes ont été placées en garde à vue après s'être introduites dans l’enceinte de l’établissement. Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a aussitôt parlé d’une «attaque». Mais selon plusieurs témoignages, les manifestants auraient en réalité tenté de se mettre à l’abri des gaz lacrymogènes.
Peu après 16h, alors que les tensions redoublaient entre certains manifestants et les forces de l'ordre, le cortège s'étant séparé entre la place d'Italie et le boulevard de l'Hôpital, Marie-Anne Ruder, la directrice de la Pitié-Salpêtrière assure avoir été informée d'une tentative d'intrusion dans l'établissement. «Je me suis immédiatement rendue sur place, et lorsque je suis arrivée, la grille était forcée, la chaîne avait cédé, et des dizaines de personnes étaient en train d'entrer dans l'enceinte de l'hôpital», explique-t-elle à France Inter. Selon son témoignage, les intrus en question étaient des Gilets jaunes, ainsi que des individus au visage dissimulé. Elle raconte alors avoir prévenu les services de police à cause des «gestes violents et menaçants» de ces individus ; les forces de l'ordre sont arrivées une dizaine de minutes plus tard.
Autre récit abondant dans le même sens : celui de Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Sur le plateau de BFM-TV, celui raconte en effet que plusieurs personnes se seraient «précipitées en montant un escalier, en passant une passerelle vers le service de réanimation chirurgicale», qui accueille des «patients particulièrement vulnérables». Selon lui, des images de vidéosurveillance «absolument édifiantes» qui seront transmises aux enquêteurs prouvent la véracité de ces faits. Il ajoute que des infirmières ont tenté de s'interposer, «qui tenaient la porte avec toute la force qu'ils pouvaient avoir en criant "Attention ! ici il y a des patients !"». «Il aurait pu se produire un drame dont je n'ose même pas imaginer les conséquences», a-t-il insisté le 2 mai, interrogé par France info.
En déplacement à l'hôpital, où un CRS avait été admis plus tôt pour une blessure à la tête, le ministre de l'Intérieur Chrstophe Castaner a évoqué une «attaque» par des dizaines de Black blocs. De son côté, le parquet de Paris annonçait que 30 individus avaient été placé en garde à vue après cette «intrusion».
Des vidéos qui sèment le doute
Plusieurs interrogations demeurent quant à ce récit, et plus particulièrement concernant la qualification d'«attaque» ou d'«intrusion». En effet, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des manifestants (femmes, hommes, avec ou sans gilets jaunes), ne montrant pas de signes visibles d'agressivité, stationner dans l'enceinte de la Pitié-Salpêtrière et tout près de l'entrée d'un bâtiment, du côté de l'entrée au 97 du boulevard de l'hôpital.
Certaines vidéos semblent même indiquer que les manifestants auraient pénétré dans l'enceinte de l'hôpital pour échapper aux forces de l'ordre qui les pourchassaient.
Le journaliste David Dufresne évoque un témoignage expliquant que les manifestants «voulaient se réfugier [dans l'enceinte de l'hôpital] parce qu'une colonne de CRS arrivait par le haut du boulevard». Plusieurs témoignages confirment cette version, à commencer par celui d'un journaliste de l'AFP qui explique avoir vu à cet endroit des manifestants se réfugier dans l'enceinte de l'hôpital, qui fait plusieurs hectares, pour échapper aux gaz lacrymogènes sur le boulevard de l'Hôpital, avant d'être pourchassés par les forces de l'ordre, et certains interpellés.
Sur une autre vidéo relayée par le journaliste Sylvain Ernault, on voit plusieurs personnes «descendre calmement les marches d'un bâtiment de la Pitié-Salpêtrière».
Si la plupart des commentaires accompagnant ces vidéos sur les réseaux sociaux n'hésitent pas à faire mention de «propagande» et de «fake news», il convient toutefois de rester prudent. En effet, à ce stade, rien ne permet toutefois de dire si ces personnes visibles sur les vidéos ou celles vues par le journaliste de l'AFP sont les mêmes que celles qui ont été évoquées par Christophe Castaner ou Martin Hirsch.
Toutefois, le précédent du saccage des vitres de l'hôpital Necker-Enfants malades le 14 juin 2016 devrait au moins inciter à la prudence quant à l'utilisation des termes «attaque» ou «intrusion». Ce jour-là, en marge d'un défilé contre la loi travail à Paris, des vitres de l'hôpital avaient été brisées. Le lendemain, l'exécutif mettait en cause la CGT et son «attitude ambiguë» à l'égard des casseurs et menaçait d'interdire les futures manifestations. Les dégâts contre l'hôpital Necker avaient été attribués par les autorités à une «horde» de casseurs... mais les vidéos et les témoignages recueillis par plusieurs journalistes avaient montré l'«acte isolé» d'un seul manifestant masqué.
Des réactions médiatiques et politiques immédiates
Malgré ces précautions nécessaires, plusieurs médias n'ont pas hésité à relayer telle quelle l'annonce de cette «attaque» présumée, semblant accorder plein crédit à la version de Christophe Castaner. Dans la foulée, plusieurs personnalités politiques ont réagi, la plupart pour témoigner de leur indignation, à commencer par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui s'est dit «particulièrement choquée».
Le député La République en marche Laurent Saint-Martin a apporté son soutien à l'AP-HP et aux forces de l'ordre : «Entrer dans un hôpital pour saccager un service de réanimation, c'est ignoble», a-t-il commenté.
Le chef de file des Républicains, Laurent Wauquiez, s'est quant à lui ému d'un acte «révulsant». «Honte à ceux qui osent s'en prendre à nos hôpitaux», a-t-il notamment écrit sur Twitter.
Du côté de La France insoumise (LFI), on met en doute la véracité des faits rapportés. Jean-Luc Mélenchon évoque une «manipulation du système».
Le député LFI Alexis Corbière, en revanche, a fait part de sa circonspection en constatant que certains témoignages ne correspondaient pas à la version officielle. «Attaquer un hôpital est inacceptable, mais diffuser de fausses informations tout autant», a-t-il estimé.
Sur le même ton, la députée LFI Danièle Obono parle de «propagande gouvernementale». Invitée sur le plateau de Sud Radio le 2 mai, elle a suggéré de parler de «situation confuse».
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