Mais combien de temps dureront les travaux d'ampleur et de complexité immense de la cathédrale Notre-Dame de Paris dévastée par les flammes ? Face à l'émotion des Français, Emmanuel Macron a fixé le calendrier de la reconstruction à cinq ans. Mais les experts interrogés par RT France en doutent.
Dans son adresse à la nation le soir du 16 avril, le président s'est voulu catégorique : «Alors oui, nous rebâtirons notre cathédrale, plus belle encore, et je veux que ce soit achevé d'ici cinq années.», a-t-il déclaré depuis son bureau de l'Elysée.
Cette annonce a été confirmée par Edouard Philippe lors du compte rendu du Conseil des ministres le 17 avril : «Le président de la République a exprimé une ambition. Celle de reconstruire Notre-Dame de Paris en 5 ans. C’est évidemment un défi immense.», a-t-il estimé.
Ce défi est effectivement si immense qu'il risque fort de ne rester qu'une utopie, en escamotant des éléments de contexte. Des choix technologiques radicaux permettront-ils de réduire les délais ? André Finot, le porte-parole de Notre-Dame de Paris, interrogé par RT France, veut y croire.
J'espère vraiment que cela marchera et je suis positif
«Pour la réfection de 1845, on a mis 20 ans. Avec les moyens techniques de notre temps, peut-on aller plus vite ? J'espère vraiment que cela marchera et je suis positif», a-t-il confié.
L'architecte de renom Jean-Michel Wilmotte, interviewé sur France inter le 16 avril, estime lui aussi que les délais seraient tenables, mais uniquement avec des méthodes de construction modernes, citant la rapidité des chantiers de... stades. L'édification d'une charpente métallique et non plus en bois, rendrait possible cette constriction du temps.
«Cinq ans, c'est tout à fait tenable, dans la mesure où l'on fait le bon choix technologique», a-t-il expliqué. «Si l'on veut reconstruire Notre-Dame avec les systèmes traditionnels, avec des forêts entières, je pense que ce sera beaucoup plus de cinq ans», car il faut faire sécher le bois, a-t-il détaillé, et y ajouter la durée de la mise en œuvre d'une charpente complexe.
Plusieurs phases de durées incompressibles
Reste que le déroulement de la reconstruction impose des délais qui deviennent élastiques au moindre débat ou au moindre imprévu.
«C’est très prématuré de se prononcer», estime Enrico d'Agostino, architecte du patrimoine interrogé par RT France. «Les complications typiques d’un chantier tel que celui-ci vont se superposer. Sur les chantiers, les aléas font déborder très facilement. Il faut rester prudent sur les délais annoncés, et ne pas aller trop vite», explique-t-il.
C’est très prématuré de se prononcer
«Un chantier de ce genre-là comporte d’abord une phase de consolidation et protection des ouvrages», détaille Enrico d'Agostino, qui inclura la dépose d'un immense échafaudage. «Ensuite il y a la phase d’études. Il y a des voûtes percées à étayer, cette phase peut durer un an. Pendant la phase d’études, il va falloir prendre les décisions clés avec la doctrine à adopter. Par exemple, reconstruit-on la flèche à l’identique comme l’avait conçue Viollet-le-Duc ?», analyse l'architecte du patrimoine. Le Premier ministre Edouard Philippe a d'ailleurs annoncé le concours pour recréer cet élément emblématique de la cathédrale.
Quand on veut aller vite, on est sûr qu'on fera une erreur
«Ce qui m'embête dans ce que vient de dire le chef de l'Etat, c'est que le patrimoine a une temporalité qui n'est pas celle des hommes politiques. Quand on veut aller vite, on est sûr qu'on fera une erreur», a affirmé l'historien Alexandre Gady dans l'émission Quotidien, en insistant sur la nécessité d'une longue phase de réflexion.
«Une fois que ces questions auront été tranchées, la phase de conception peut prendre encore deux ans, et ensuite il ne resterait que moins de trois ans pour le chantier de reconstruction de la charpente et la couverture. Pour un chantier de restauration, ce sont des délais serrés», évalue Enrico d'Agostino.
Trop de questions subsistent sur l'état structurel de Notre-Dame
Mais ce déroulement se produirait si le chantier se préparait sous de bons auspices. Or, il est pour le moment impossible de connaître l'état structurel de l'édifice, endommagé aussi bien par l'incendie que par l'aspersion massive d'eau durant les opérations de secours des pompiers.
Si la structure est endommagée, les travaux peuvent devenir bien plus importants
«Le problème majeur concerne les possibles dégâts occasionnés par l’eau qui peuvent avoir fragilisé la structure, voire la compromettre en partie. Si elle est endommagée, les travaux peuvent devenir bien plus importants», précise l'architecte du patrimoine.
Les précédents de reconstruction
Il convient aussi d'évaluer la durée de chantiers similaires, bien que de taille moindre. Le château de Windsor en Grande-Bretagne a bien été reconstruit en cinq ans après l'incendie dévastateur de 1992. Mais les caractéristiques géographiques et architecturales de l'édifice sont bien différentes. Le chantier de reconstruction de l'opéra de Venise, le bien nommé La Fenice (Le Phénix), dévasté par un incendie criminel en 1996, a duré sept ans. L'établissement a adressé un message de soutien à la cathédrale : «Nous avons brûlé par deux fois, et sommes renés de nos cendres, encore plus forts. Nous sommes à vos côtés, n'ayez crainte !»
Quant à la réfection du Parlement de Bretagne à Rennes, ravagé par un incendie en 1994, elle a nécessité dix ans de travaux pour retrouver son état d'origine.
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