Echaudé par l'acte 18 des Gilets jaunes en marge duquel de sérieuses dégradations ont été constatées le 16 mars dans la capitale, le gouvernement annonce une nouvelle stratégie pour mettre un terme à la casse. Si l'exécutif bande les muscles, les effets de communication de Matignon, Beauvau ou l'Elysée, semblent quelque peu laisser les forces de l'ordre dans le flou.
Interrogé par RT France, un policier membre du bureau de l'association CAP-IDF (collectif autonome des policiers d'Ile-de-France) qui a été affecté depuis le mois de décembre 2018 aux détachements d'action rapide (DAR) lors de plusieurs rassemblements de Gilets jaunes, fait part d'un certain désarroi : «A ce stade, on ne peut que s'en tenir à ce qui s'est dit dans la presse, on ne sait strictement rien. A titre personnel, je constate seulement que le DAR va simplement changer de nom pour devenir "l'unité anticasseurs", mais pour ce qui est des drones ou des systèmes de marquage des manifestants, c'est le flou total.»
Il rappelle que des armes de type paintball avaient déjà été employée par le passé afin de marquer des manifestants en vue d'une possible interpellation, mais qu'à sa connaissance, ce dispositif n'a pas été employé depuis le début du mouvement des Gilets jaunes. «Pour les drones, idem, les images seront-elles retransmises en direct dans les cellules de crise ou pas ? On n'en sait rien», explique-t-il avec perplexité. «On peut au moins se réjouir de l'économie sur le kérosène par rapport à ce que doit consommer un hélicoptère pendant une manifestation», ironise-t-il.
Il faut bien comprendre qu'il n'y a aucune autonomie pour nous, même pour un gradé
Le policier pointe également du doigt l'effet de surprise, parfois mal vécu par les effectifs de terrain, au moment de leur affectation : «Chaque vendredi, il y a des réunions des hiérarchiques au ministère de l'Intérieur et tard le soir, il y a un télégramme qui tombe avec nos ordres de missions... On découvre en général qu'on commence tôt le lendemain matin.» De quoi susciter de sérieux doutes quant au changement de doctrine annoncé : «On imagine que ce sera pareil, on découvrira sur le terrain.»
Et de déplorer le manque d'autonomie des forces de l'ordre en pleine action : «Quand on voit cette banque qui brûle non loin des Champs-Elysées, avec une femme piégée par l'incendie en compagnie de son enfant, il faut bien comprendre qu'il n'y a aucune autonomie pour nous, même pour un gradé ; c'est la salle de commandement qui nous place, tout vient d'en haut et pour moi, c'est une erreur stratégique. D'ailleurs à ce moment-là, les individus étaient déjà remarqués depuis un certain temps car ils avaient fait de la casse en amont. Mais au lieu de resserrer la nasse autour d'eux, on nous a ordonné de l'élargir... C'était juste avant l'incendie.»
A entendre les policiers de terrain, un sentiment domine : Beauvau voulait plus de fermeté, mais le moins possible de blessés graves. Des ordres en apparence contradictoires en auraient découlé. «Qui devra assumer les conséquences en cas de blessure grave d'un casseur ou d'un manifestant ?», interroge le policier associatif du CAP-IDF. «La nouvelle doctrine, c'est quoi ? C'est de leur rentrer dedans ? On a des flics frustrés, fatigués et qu'on incite souvent à se désengager et à fuir même... Alors la réplique de fermeté du gouvernement, elle est à double-tranchant pour nous ; nous, les policiers, il va falloir que nous fassions plus attention que jamais, parce que si nous sommes inquiétés par l'IGPN [Inspection générale de la police nationale], le ministre de l'Intérieur ne sera pas là pour nous tenir la main. Le fonctionnaire concerné sera tout seul.»
LBD 40 bridé, force Sentinelle déployée : bonne stratégie ?
Le spectre de la polémique sur le lanceur de balle de défense (LBD 40x46) est toujours bien présent dans les esprits. «La préfecture a beaucoup freiné sur le lanceur après la polémique et il y a eu seulement 35 tirs à Paris le 16 mars, malgré la grande violence des casseurs. Mais l'information selon laquelle les LBD 40 ont été soudainement bridés est incorrecte, en réalité on nous a remplacé les munitions au fur et à mesure depuis deux ans en passant d'une portée de 40 mètres à 20 mètres».
Le principe est simple : moins de poudre dans l'amorce, ce qui induit donc une portée réduite. La visée est toujours aussi bonne, mais seulement dans la distance d'emploi prescrite, c'est à dire une portée de moins de 20 mètres.
Le gouvernement et les syndicats de police ont affiché leur intention de ne pas plier face aux casseurs et la sanctuarisation prévue des bâtiments de pouvoir de la capitale, ainsi que des zones déjà durement touchées telles que les Champs-Elysées est censée assurer une certaine tranquillité. Mais là encore, le policier de terrain n'est pas convaincu de la validité de ces mesures : «La sanctuarisation va déplacer le problème et on a déjà entendu parler de possibles fuites vers le XVIe arrondissement. Il pourrait y avoir beaucoup de casse dans cette zone, c'est déjà arrivé. On verra bien.»
«Moi, je pense que les casseurs ne viendront pas à l'acte 19 à Paris, mais qu'ils préféreront Nice, par exemple», explique-t-il, tout en concédant qu'il ne s'agit là que d'une spéculation. «En tout cas, l'emploi de la force Sentinelle pour garder les bâtiments publics pose au moins une question... J'ai évoqué le sujet avec un militaire de cette force et il m'a rappelé que leurs unités apprenaient le maintien de l'ordre à l'étranger, dans les villes africaines, par exemple. Ce n'est pas tout à fait la même affaire, vous en conviendrez !»
Antoine Boitel