France

Rachat de Ouibus par Blablacar : la SNCF prise au piège de la concurrence ?

La société privée de covoiturage Blablacar a fait savoir qu'elle allait racheter Ouibus, filiale de la SNCF spécialisée dans le transport routier par autocar. Retour sur le chemin parcouru par Ouibus, en passe d'être privatisé.

Alors que le rachat par BlaBlaCar de Ouibus, filiale de la SNCF, a été annoncé le 12 novembre 2018, la start-up française de covoiturage a officialisé une levée de fonds de 101 millions d'euros, celle-ci incluant la participation de... la SNCF.

On a envie de croire en cette histoire, c'est pour cela qu'on participe à la levée de fonds.

Commentant le rachat de sa filiale par une société privée de covoiturage, l'entreprise ferroviaire publique française reste positive. «On a envie de croire en cette histoire, c'est pour cela qu'on participe à la levée de fonds», a ainsi souligné Rachel Picard, directrice générale de Voyages SNCF.

Il est à noter que si sa contribution à l'opération financière permet à la SNCF de siéger au conseil d’administration de Blablacar, sa participation sera toutefois cantonnée à une présence en tant qu’observateur, du fait de son apport minoritaire dans la levée de fonds.

Ouibus était l'une des figures de proue des fameux «cars Macron» : le 6 août 2015, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite «loi Macron», était en effet promulguée. Son auteur défendait la libéralisation du transport en autocar promettant, entre autres, «la création de 22 000 emplois directs».

C'est précisément un mois après la promulgation du texte que le service commercial de la SNCF «iDBUS» est devenu... la filiale Ouibus.

Une filiale qui a nui à sa société mère

Nouveau nom, nouvelles destinations. Dès ses débuts, Ouibus a commencé à concurrencer, de façon directe, sur de nouvelles lignes, les activités ferroviaires de sa société mère. Ainsi, entre autres reproches adressés à Ouibus, d'aucuns ont pointé la déstabilisation du secteur du rail français. En effet, à défaut d'avoir évincé ses concurrents privés, la filiale de la SNCF, en appliquant des tarifs en dessous du coût de revient, a été accusée d’œuvrer à la mort prochaine de certaines lignes ferroviaires.

Par ailleurs, les performances de la succursale se sont avérées mitigées. De fait, à titre d'exemple, la filiale a généré près de 45 millions d'euros de pertes en 2016 et 35 millions en 2017.

Enfin, comme celle de ses concurrents, l'activité de Ouibus a fait l'objet de vives critiques dans d'autres domaines, notamment sur le plan écologique, du fait de la pollution provoquée par le choix de favoriser le réseau routier au détriment du ferroviaire.

Service public et concurrence privée

Néanmoins pour la jeune société de transports par autocar, la menace était ailleurs. La filiale de la SNCF n'a en effet pas tardé à faire face à une rude concurrence, celle-là même encouragée par la «loi Macron», notamment avec la présence sur le marché de la puissante société allemande Flixbus. 

Ainsi, alors que Ouibus a connu près de 80 millions d'euros de pertes entre 2016 et 2017, le patron de la SNCF Guillaume Pépy nuançait ce déficit, estimant, au mois de septembre 2017, qu'il ne fallait pas laisser le monopole des cars à la société allemande Flixbus. Bien évidemment, la concurrence a toujours jugé cette situation inacceptable : «Ouibus a pu perdre énormément d’argent car il était soutenu par la SNCF, une entreprise publique : une entreprise privée n’aurait jamais pu se permettre d’agir comme ça», explique Yves Lefranc-Morin, directeur général de Flixbus interrogé par 20 Minutes.

Un an et deux mois plus tard, Guillaume Pépy semble avoir changé d'avis, préférant s'en remettre au secteur privé pour concurrencer Flixbus... faisant ainsi les affaires du patron de Blablacar qui entendait «étendre son offre» pour devenir un acteur majeur sur la mobilité routière «à une échelle européenne, voire mondiale».

La libéralisation comme préambule à la privatisation ?

Le chemin de croix parcouru par Ouibus démontre de manière plus générale la situation très délicate dans laquelle le service public français se trouve face à une concurrence dont le développement est promu et encadré notamment par la Commission européenne. Conformément à cette ligne conductrice, le gouvernement a ainsi inscrit dans le marbre, avec la récente réforme de la SNCF, la mise en concurrence du rail français : en 2019 pour les trains régionaux (TER, Intercités, Corail…) et en décembre 2020 pour les TGV.

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Malgré les promesses d'Edouard Philippe de ne pas privatiser la SNCF, la mise en concurrence du service public fait planer l'ombre de la privatisation. Car l'arrivée de concurrents induite par la réforme du rail contraindra la SNCF à s'aligner sur les standards de compétitivité des entreprises privées. De fait, les leviers d'ajustement de ces dernières correspondent souvent à des réduction de coûts. D'aucuns estiment aujourd'hui que la SNCF a déjà entamé une telle démarche, notamment avec l'abandon progressif des lignes peu rentables. L'orientation semble difficile à concilier avec la mission première du service public : satisfaire l'intérêt général. 

Fabien Rives

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