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Référendum en Nouvelle-Calédonie : quels enjeux pour le peuple kanak ?

Environ 175 000 électeurs seront appelés le 4 novembre à se prononcer sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Qu’auraient à gagner les habitants à une victoire du oui à l’autonomie totale ?

Le référendum du 4 novembre, premier d’une série de trois, vient parachever les promesses des accords de Nouméa signés en 1988. Ce vote avait été prévu entre 2014 et 2018. Alors que le référendum doit se tenir le 4 novembre prochain, les débats révèlent certaines inégalités ainsi que le désir de rompre avec une économie de comptoir issue de politiques néocoloniales, qui rendent la vie inabordable pour les habitants.

Même si les estimations donnent le «non» à l’indépendance majoritaire, dans les îles de Nouvelle-Calédonie et particulièrement dans la province nord, l’heure, à la veille du référendum, est à l’affirmation de l’identité culturelle de la Kanaky, celle des autochtones qui composent quasiment la moitié de la population.

«Il y a des drapeaux kanaky partout, les gens sont très déterminés. Ils savent qu’ils ne gagneront pas cette fois-ci, mais qu’ils auront le dernier mot lors des prochains référendums, car il y en a encore deux», explique Alban Pensa, anthropologue spécialiste de la Nouvelle-Calédonie, qui répond à RT France depuis l’archipel du Pacifique. «D’ici on comprend que le processus est inarrêtable. Le gouvernement français souhaite ça aussi. Il a tout fait pour que le pays reprenne son autonomie. Cela rend fou de rage les grands propriétaires d’ici», note le spécialiste.

«La Nouvelle-Calédonie jouit déjà d’un statut très large d’autonomie, c’est une collectivité d’Outremer qui a un statut particulier», nous explique Sarah Mohamed Gaillard, spécialiste de l'Océanie. La loi a en effet prévu l’application d’une autonomie progressive par transfert de compétences. La politique dite de rééquilibrage, à l’œuvre depuis une trentaine d’années pour lisser les différences entre la province du Sud, riche, où vivent et prospèrent de nombreux Européens et la province nord, plus pauvre, semble aussi avoir fonctionné. La France ne garde la main que sur les pouvoirs régaliens que sont la sécurité, la justice, le droit général, la monnaie et la politique étrangère. «C’est un transfert irréversible», avait expliqué Sarah Mohamed Gaillard.

Des questions économiques prégnantes 

Alors qu’auraient à gagner les Kanaks en cas de victoire du «oui», puisque l’autonomie est déjà partielle ? «La question est aujourd’hui : souhaitez-vous qu’on vous transmette ces cinq compétences régaliennes ? Les partisans du oui demandent à être complètement souverains, ce qui n’empêchera pas de perpétuer la politique de rééquilibrage nord-sud. Mais cela veut dire que tout serait réorganisé. Il n’y aurait plus de partis politiques français, on assisterait à une recomposition politique complète», explique Alban Pensa. «Ils géreraient eux-mêmes leurs propres affaires, et régiraient le rééquilibrage et les transferts des compétences à la manière d’un partenariat», poursuit-il.

Car des incongruités subsistent sur le territoire. «Dans la province nord, une usine de transformation du nickel, vend sans passer par Paris en Chine, au Japon, en Australie… ça rapporte des revenus très importants. Les Calédoniens possèdent 51% des parts. Ils ne voient pas pourquoi ils seraient placés sous la tutelle de l’Etat», explique-t-il.

Par ailleurs, une des revendications principales des indépendantistes, qu’ils soient kanaks ou européens, est de mettre un terme à la mainmise d’une économie de comptoir diligentée par quelques entreprises françaises qui vendent les denrées à prix d’or à la population. Le panier moyen dans un supermarché en Nouvelle Calédonie peut coûter plusieurs fois celui d’un français de métropole. La fin d’une plaquette de chocolat basique coûtant l’équivalent de 8 € ?

«Les indépendantistes en veulent au dispositif économique colonial qui sévit encore. Les importateurs comme Carrefour ou Total revendent des produits extrêmement cher. Parallèlement, la France paie ses fonctionnaires selon une indexation qui leur permet d’acquérir ces produits tandis que les gens d’ici ne le peuvent pas. Les consommateurs surpaient les produits, ce qui conduit à l’enrichissement phénoménal d’un petit nombre d’entreprises. Si le pays devient indépendant, l’indexation cessera, la Nouvelle-Calédonie se mettra à produire davantage de biens, l’importation s’effondrerait, et les habitants géreraient eux-mêmes avec leurs ressources en interne», explique Alban Bensa.

Le système politique actuel freine en effet le développement économique local, selon le spécialiste. «Il y a des taxes, des tracasseries administratives, aucune incitation à la production locale pour que ces grandes firmes continuent à revendre leurs produits», estime-t-il.

Ces entraves ne sont pas dénoncées uniquement par les Kanaks, mais aussi par d'improbables alliés, les descendants d'anciens colons. «Ils se rallient aux indépendantistes car ils n’ont pas la main sur cette économie», poursuit le spécialiste. «Les Kanaks leur disent : "Faites l’indépendance avec nous". Ils ouvrent des débats, et souhaitent juste un partenariat privilégié avec la France, tout en étant être maîtres chez eux. Les Caldoches sont d'accord. Les récents immigrés, présents depuis cinq ans, qui font fortune avec des business de surf, ne l'entendent en revanche pas de cette oreille et sont particulièrement redoutables», explique aussi Alban Pensa. Il note l'exaspération des locaux, confrontés à des experts surpayés envoyés de la métropole, pour donner des conseils sur des pratiques maîtrisées depuis des décennies.

Une décolonisation à l'œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

La Nouvelle-Calédonie, colonisée par les Français en 1853, est un cas à part en Outremer. Le processus de décolonisation a démarré dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour connaître un coup d’arrêt en 1963, l’Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie étant même privée de la plupart de ses pouvoirs. Les indépendantistes s’en plaignent dès les années 70.

«Cette revendication d’indépendance est née d’une situation coloniale, et au départ de revendications culturelles, identitaires, foncières, le droit de retrouver  les terres qui avaient été volées lors de la colonisation, le droit de pouvoir parler sa langue, que leur identité soit reconnue», avait expliqué Sarah Mohamed Gaillard. Les violentes émeutes découlant des affrontements avec les indépendantistes ont abouti à la signature d’accord entre dirigeants français et leaders kanaks : les accords de Matignon, le 26 juin 1988, prévoyant sur un référendum d'autodétermination suivant une période de dix ans. Un second agrément, l'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, reconnaît la légitimité des communautés vivant sur les territoire et prévoit le transfert progressif de compétences à l'exclusion des régaliennes.

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