A peine commencé, déjà presque terminé. Le procès à Paris du groupe Total pour «corruption d'agents publics étrangers» en Iran dans les années 1990 s'est heurté à des circonstances ubuesques révéles lors de l'audition du 11 octobre. Trois prévenus sont décédés et le dernier, le géant pétrolier, refuse de s'exprimer.
Les bancs du public comme ceux des prévenus sont clairsemés. L'affaire, ancienne, n'intéresse plus guère, et parmi les trois hommes qui étaient poursuivis, l'ancien PDG du groupe français Christophe de Margerie et l'intermédiaire iranien Bijan Dadfar sont morts, son compatriote Abbas Yazdi, intermédiaire lui aussi, est présumé décédé.
Toutes les robes noires sont donc venues pour le seul prévenu restant, Total, représenté par l'un de ses dirigeants, Jean-Jacques Guilbaud.
Les avocats du pétrolier ont tenté, sans succès, d'obtenir «l'extinction de l'action publique» visant le géant français, soupçonné d'avoir versé des pots-de-vin pour obtenir des contrats en Iran sur fond d'embargo américain.
Total ayant accepté de payer 398 millions de dollars aux Etats-Unis en 2013 pour clore cette même affaire, ses défenseurs ont plaidé que Total ne pouvait être jugé deux fois pour les mêmes faits. Mais aussi que le procès, s'il était maintenu, serait «inéquitable» puisque le groupe ne peut contredire ni critiquer cet accord.
Pointant «un peu de mauvaise foi» de la part du pétrolier, le procureur a répliqué que «nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude», Total ayant «librement accepté» la transaction américaine et ses contraintes.
Des contrats «fictifs» et une enquête sur deux contrats gazier et pétrolier
Les débats ont tourné court et le procès, prévu pour durer quatre jours, va finalement s'achever dès le 12 octobre. A la barre, Jean-Jacques Guilbaud, le représentant du groupe, s'est refusé à commenter le fond de l'affaire, s'en remettant à l'exposé des faits tel que rapportés dans la procédure américaine.
«C'est une affaire qui a 20 ans, on était dans un autre monde», a-t-il seulement affirmé, assurant que Total appliquait aujourd'hui une politique de «tolérance zéro vis-à-vis de tout défaut de compliance [conformité]».
Le tribunal a voulu déterminer si la transaction américaine pouvait entraver les prises de parole de Total puisqu'elle a été validée par un tribunal américain en 2016 ? Le pétrolier soutient que oui.
L'enquête, ouverte en France en 2006, portait initialement sur deux contrats gazier et pétrolier.
Le principal contrat, d'une valeur de deux milliards de dollars, a été signé le 28 septembre 1997 avec la société pétrolière nationale iranienne NIOC et concernait l'exploitation – par une coentreprise réunissant Total, le russe Gazprom et le malaisien Petronas – d'une partie du champ gazier offshore de South Pars, dans le Golfe Persique.
Le second a été conclu en juillet 1995 pour l'exploitation des champs pétroliers iraniens de Sirri A et E, également situés dans le Golfe persique.
En marge de ces deux accords, Total est soupçonné d'avoir versé entre 1995 et 2004 quelque 60 millions de dollars de commissions via des intermédiaires et une société, Baston Limited, à destination notamment d'un fils de l'ancien président Rafsanjani, haut placé dans le secteur pétrolier public iranien, sous couvert de contrats de consultant «fictifs».
Le groupe n'est toutefois jugé que pour les commissions versées après 2000, après l'entrée en vigueur en France de la loi sur la corruption d'agents publics étrangers, soit quelque 30 millions de dollars liés uniquement au volet South Pars.
Total a toujours affirmé que les versements incriminés avaient été effectués «dans le respect de la loi» française.
Le groupe s'est officiellement désengagé en août de ses projets d'investissement de plusieurs milliards de dollars en Iran dans le fameux gisement de South Pars, conséquence directe du rétablissement des sanctions américaines contre ce pays.