«Il y a un mot en grec qui signifie "rien de trop". Cela devrait être notre philosophie.» Selon les informations de La Dépêche du Midi, c'est ainsi que Gérard Collomb, entouré de journalistes pour un déjeuner le 6 septembre, a entamé une franche discussion sur le président de la République et sa façon d'administrer la France, une semaine avant d'annoncer son propre départ du gouvernement.
Le ministre de l'Intérieur comptait parmi les fidèles de la première heure de la famille En marche !. Mais, à présent, son ressentiment et son désaveu semblent profonds, et l'affaire Benalla ne serait pas le seul épisode en cause. Peu de choses seront épargnées au président du «nouveau monde» de la part de son ministre qui souhaiterait redevenir maire de Lyon.
Les provinciaux ont tendance à considérer que les Parisiens les snobent... La start-up nation, ils ne s'y reconnaissent pas
Devant les journalistes, Gérard Collomb évoque en guise de mise en bouche, dans des propos confirmés le 24 septembre par l'AFP, les relations tendues avec les territoires : «Je regrette que nos relations avec les collectivités locales se soient dégradées alors que nous avons pris des mesures qui auraient dû les satisfaire. On a fait une campagne sur le pacte girondin, il serait urgent de renouer avec cette promesse. [...] On n'a pas bien traité un certain nombre de problèmes comme l'accueil des mineurs isolés, les 80 km/h.»
Mais le Lyonnais semble surtout ne pas digérer le fossé qui s'est installé entre l'Elysée et le pays : «Les provinciaux, et j'en suis, ont déjà une tendance naturelle à considérer que les Parisiens ont la grosse tête et les snobent, or des expressions comme la nouvelle grammaire de la politique ou la start-up nation, ils ne s'y reconnaissent pas…»
Ce type se prend pour un seigneur, c'est ça le problème de fond
S'en est-il ouvert à Emmanuel Macron lui-même, s'enquiert un journaliste présent ? Réponse : «Nous ne sommes pas nombreux à pouvoir encore lui parler. Ceux qui parlent franchement à Macron sont ceux qui étaient là dès le début : Ferrand, Castaner, Griveaux et moi… D'ailleurs, il va finir par ne plus me supporter. Mais si tout le monde se prosterne devant lui, il finira par s'isoler.»
Alors que le déjeuner s'allonge, le ministre prend visiblement son temps, savourant les mets à petites bouchées et n'oubliant pas le plat de résistance : Alexandre Benalla. Gérard Collomb digérera-t-il jamais cette affaire ? Pas sûr : «Ce type se prend pour un seigneur, c'est ça le problème de fond.»
Ça n'est pas parce que je reçois le futur empereur du Japon que j'ai une vocation de kamikaze – le sabre dans le ventre, très peu pour moi
A en croire La Dépêche, le patron des policiers estime d'ailleurs, à l'inverse de ce qui avait été avancé par les soutiens du président, que c'est bien le scandale Benalla qui a fait dégringoler le chef d'Etat dans les sondages au tournant de l'été. Et quelques jours avant le témoignage du ministre de l'Intérieur devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, un conseiller de l'exécutif aurait déjà lâché, inquiet : «On va avoir un problème avec Collomb.»
Le conseiller cité par le quotidien régional du Midi avait raison, car Gérard Collomb a visiblement pas décidé de ne pas partir en silence. Au dessert, il ajoute, semble-t-il au sujet de l'affaire Benalla : «Ça n'est pas parce que je reçois aujourd'hui le futur empereur du Japon que j'ai une vocation de kamikaze – le sabre dans le ventre, très peu pour moi.» Et de lâcher une dernière pique en reprochant à Emmanuel Macron de ne «pas être monté au créneau plus tôt».
Dans un grand entretien au magazine L'Express publié le 18 septembre, le ministre de l'Intérieur a annoncé qu'il voulait se présenter aux municipales à Lyon en 2020 et que, pour ce faire, il quitterait le gouvernement après les élections européennes, dès juin 2019. Depuis cette annonce, les forces de sécurité intérieures ont fait part de leurs craintes quant à la bonne conduite des mesures lancées par Gérard Collomb : le ministre suivant tiendra-t-il les promesses de son prédécesseur ?