«On se sent inutiles, il y a une désespérance face à l'arrogance de l'Etat», confie à l'AFP Philippe Rion, maire démissionnaire de Castillon (Alpes-Maritimes). Usés par leur fonction, de plus en plus de maires jettent l'éponge à moins de deux ans de la fin de leur mandat.
Si la démission la plus fracassante fut sans nul doute celle, en mars 2018, de Stéphane Gatignon, maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), qui dénonçait le «mépris de l'Etat pour les banlieues», les maires de petites villes, parfois au bord du surmenage, sont tout aussi nombreux à se décourager.
L'AFP a ainsi calculé, d'après le répertoire national des élus en tenant compte de l'effet du non-cumul des mandats, que le nombre de maires ayant quitté leur fonction depuis 2014 était en hausse de 55% par rapport à la précédente mandature.
«Il y a des mois où je ne savais plus comment payer les employés», déplore Philippe Rion, qui a dû «tailler sur tout», y compris en «arrêtant les commémorations nationales», avant de finir par augmenter la taxe d'habitation.
«Les communes ne sont qu'une variable d'ajustement financière aux yeux de l'Etat», critique l'ancien maire dont le village de 380 habitants a enregistré une baisse de 50% en cinq ans de sa dotation globale de fonctionnement (DGF), principale contribution financière de l'Etat aux collectivités.
Selon l'Observatoire des finances locales (OFGL), la DGF représentait 14,8% des recettes de fonctionnement des communes en 2017, contre 21% en 2013.
Malgré une légère hausse de son montant global en 2018, près de la moitié des communes ont vu leur dotation baisser cette année, selon l'Association des maires de France (AMF), qui a réclamé mi-juillet la création «en urgence» d'un fonds spécial pour les communes les plus en difficulté.
Les maires ont le sentiment de devenir les exécutants de décisions prises ailleurs
La suppression de la taxe d'habitation, qui représente 34% des recettes fiscales des communes, et la forte baisse des contrats aidés, considérés comme une bouffée d'oxygène dans les campagnes, ont encore accru les mécontentements.
Mais c'est la refonte de la carte intercommunale en 2016, issue de la loi NOTRe, qui a suscité le plus de dissensions, les maires devant se plier à des fusions souvent coûteuses en temps et en énergie pour intégrer des intercommunalités de plus en plus grosses.
«Il y a une concentration des pouvoirs au sein des intercommunalités et les maires ont le sentiment de devenir les exécutants de décisions prises ailleurs», analyse Luc Rouban, chercheur au Cevipof. «Ils se retrouvent noyés dans un ensemble d'élus et voient leur capacité d'imagination et d'impulsion encore plus limitée, avec l'impression d'un dessaisissement», abonde Emeric Bréhier, de la Fondation Jean Jaurès.
Gilbert Parmentier, maire démissionnaire des Aulneaux (Sarthe), a vu passer le périmètre de la communauté de communes à laquelle il appartient de 13 000 à 29 000 habitants et de 43 à 78 représentants.
«C'est très usant, ça fait des réunions à rallonge, et les maires des petites communes sont souvent tournés en dérision quand ils prennent la parole face à des élus dont la politique est le métier», assure cet ancien instituteur, pourtant «dans les conseils municipaux depuis 30 ans».
«Demain, il ne restera plus au maire que le privilège de l'état civil et de l'écharpe», regrette André Laignel, vice-président de l'AMF, pour qui «l'affaiblissement voire la disparition des communes» constitue «un recul de la démocratie et du vivre ensemble».
Un engagement à 200%, au détriment de la famille, pour des indemnités très basses dans les petites communes
Parallèlement, la mission du premier édile n'a cessé de se complexifier, avec «beaucoup de travail administratif et d'assistante sociale, et des indemnités très basses dans les petites communes», constate Luc Rouban. Dans un communiqué justifiant sa démission en juin, la maire de Guérande (Loire-Atlantique) explique s'être engagée parfois «au-delà de [ses] forces» et «souvent au détriment de [sa] famille» dans un mandat qui nécessite de «s'investir à 200%».
Face à cette situation, les associations réclament un véritable statut de l'élu, avec une augmentation des indemnités, un retour à la vie professionnelle facilité et une révision des conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des maires peut être engagée.
Du côté des administrés, les exigences n'ont pas diminué, au contraire. «Si un trottoir est un peu défoncé, il faudrait que le lendemain ce soit réparé», se plaint Claude Descamps, maire démissionnaire de Prayssac (Lot). «Les gens veulent régulièrement vous faire des procès», poursuit-il, ajoutant avoir été «à la limite du burn-out».
Selon le baromètre 2018 du Cevipof, la confiance des Français envers leur maire a baissé de 9 points en un an. «Le niveau d'attente augmente d'autant plus qu'il y a un report de problèmes nationaux sur le local, comme la disparition des services publics», observe Luc Rouban, qui s'inquiète d'une «crise des vocations» pour l'échéance de 2020.