La France «Black Blanc Beur» de 1998 aura marqué les esprits. Slogan prometteur supposé démontrer l'efficacité du «vivre ensemble» dans la France chiraquienne de la cohabitation, il n'aura toutefois pas véritablement tenu ses promesses. Trois ans après le second tour de la présidentielle de 2002 opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen, les banlieues s'embrasent. Ascenseur social en panne, crises des banlieues, critiques envers une difficile intégration des immigrés et de leurs descendants...
Alors que la crise migratoire fait rage et que nombre de pays européens adoptent désormais une politique plus dure envers l'immigration, dans une France où elle est largement jugée trop élevée par les citoyens, notamment les plus jeunes, l'équipe de France ayant remporté la Coupe du monde 2018 en Russie cristallise nécessairement les commentaires politiques.
Sur les réseaux sociaux, une vague de tweets plus ou moins racistes a déferlé dès avant la finale France-Croatie, de nombreux internautes jugeant en des termes parfois injurieux que les joueurs de l'équipe de France étaient trop «colorés».
En grande partie issus de l'immigration, les joueurs n'ont pas uniquement déchaîné des réactions hostiles. Pour d'autres, ils symbolisent avant tout la richesse que l'immigration constituerait pour la France. Narguant ceux qui refusaient de voir dans l'équipe nationale une incarnation de la vraie France, plusieurs personnalités, à l'instar de Yacine Bellatar, ont réagi. Ce dernier a par exemple remercié ironiquement Valéry-Giscard D'Estaing d'avoir permis le regroupement familial.
Khaled Beydoun, professeur de droit à l'université de Détroit et militant contre l'islamophobie, estime de son côté que la victoire d'une équipe composée à 80% de Noirs et à 50% de musulmans devrait inciter les Français à mettre de côté ce qu'il considère être un racisme et une islamophobie latents. «Les Noirs et les musulmans vous ont offert cette deuxième Coupe du monde, offrez-leur la justice», exhorte-t-il.
Mais Paul Pogba peut-il être résumé à sa foi musulmane ? Kyllian Mbappé à la couleur de sa peau ? Symptôme d'un antiracisme non exempt de contradiction, ce discours n'est pas partagé par tous, comme en témoignent de nombreux tweets, dans lesquels divers internautes refusent de voir les joueurs de l'équipe de France restreints à leur couleur de peau, fût-ce pour vanter les mérites de la diversité.
De même, Fif, fondateur du magazine de cultures urbaines Booska-P, estime ainsi que le discours du «Black Blanc Beur» est avant tout un slogan de politiques et de journalistes qui ne résiste pas à l'épreuve de l'actualité sitôt l'euphorie de la victoire dissipée.
Nombreux sont pourtant les internautes à estimer que la victoire de ce 15 juillet peut permettre de changer l'opinion des Français sur la banlieue.
Cette victoire ne résoudra probablement pas les problèmes d'intégration en France et ne mettra sans doute pas un terme aux débats concernant les banlieues et l'immigration. Mais elle force fait l'objet de toutes les récupérations politiques possibles. Du Rassemblement national à La France insoumise, en passant par La République en marche, les Républicains et le Parti socialiste, d'innombrables personnalités politiques ont sauté sur l'occasion pour féliciter la plus jeune équipe à jamais avoir remporté une Coupe du monde.