France

Droit de grève : Edouard Philippe va-t-il trop loin ?

«Faire grève contre une loi, dans une démocratie, c’est curieux» : cette parole du Premier ministre est elle aussi curieuse. Non seulement elle semble remettre en cause le droit de grève mais nie aussi son impact historique dans la vie politique.

Pour 20 minutes, le 14 juin, Edouard Philippe a osé une déclaration périlleuse à propos de la grève au sein de la SNCF : «Quand la loi est votée, elle doit être appliquée. Faire grève contre une loi, dans une démocratie, c’est curieux.»

Edouard Philippe a, dans un même temps très macronien, concédé que le droit de grève était «constitutionnel» : «Il n’est pas question d’interdire à quiconque le droit de faire grève.» Toutefois, il a confessé ne pas admettre toute grève qui surviendrait après le vote d'une loi par le Parlement, celle de la réforme ferroviaire en l’occurrence.

Le Premier ministre joue de l’ambiguïté pour mieux renforcer le doute sur la légitimité d'une grève. Premier problème : la grève – comme il l'avoue pourtant – est bel et bien inscrite dans l'histoire législative de la France. Le droit de grève est d'abord reconnu en 1864 par Napoléon III, reconnu dans la Constitution en 1946, puis celle de 1958, et confortée par le code du travail (Article L2511-1). Mettre en doute le bien-fondé d'une grève conteste donc 154 années d'avancées sociales sur ce droit.

D'ailleurs, le fait qu'une loi soit votée ne limite pas le droit de grève. L'histoire politique montre que différents gouvernements ont été confrontés à une lutte sociale après le vote d'une loi et qu'ils ont parfois revu la copie de leur texte (malgré sa promulgation) ou l'ont même supprimé. Des rétropédalages législatifs qui n'ont pas poussé l'Etat à remettre en question le droit de grève.

Par exemple, le Contrat de première embauche (CPE) avait été publié au Journal officiel le 2 avril 2006, suscitant une vive opposition de la part des étudiants et des syndicats, qui craignaient une précarisation dans les contrats de travail. Après plusieurs semaines de manifestations et de grèves, le texte fut abandonné par le gouvernement. En 1994, le Premier ministre Edouard Balladur avait fait adopter le «Smic jeunes» qui prévoyait d'embaucher des jeunes jusqu'à bac+2 à 80% du salaire minimum. Tollé général, une mobilisation d'un mois, et Edouard Balladur annonça le retrait de la réforme.

Sur la question écologique, l'écotaxe (ou «taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandise») avait été votée en 2009, dans le cadre de la loi Grenelle 1 afin de sanctionner financièrement les véhicules pollueurs. Son entrée en vigueur était prévue pour janvier 2014. C'était sans compter sur la révolte des transporteurs, des agriculteurs et de certains élus, qui ont amené Ségolène Royal à abandonner le projet en 2014.

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