Ce 7 juin, les députés entament l'examen du texte de loi sur «manipulation de l'information». Très critiqué, tant par la présidente du Rassemblement national (RN, ex-Front national) Marine Le Pen, qui juge le texte «liberticide», que par La France insoumise (LFI), qui dénonce une «tentative de contrôler l'information», ce texte place une fois de plus RT France au premier plan de l'actualité.
Si le lien entre cette loi et l'hostilité de l'exécutif envers RT n'est plus à démontrer, Jean-Luc Mélenchon, député LFI de Marseille, estime quant à lui que ce n'est pas «une aigreur du chef de l'Etat» qui aurait motivé la rédaction de ce texte. Selon lui, le président ne veut pas «régler de comptes». Il fait ainsi référence aux accusations portées contre RT France par l'entourage d'Emmanuel Macron, qui se disait victime de nombreuses rumeurs sur internet pendant la campagne présidentielle de 2017 – des accusations toujours dépourvues d'éléments concrets et que RT France a toujours rejetées.
Quel événement a donc provoqué la décision d'Emmanuel Macron de faire voter une loi contre les «fake news»? Jean-Luc Mélenchon développe : «Nos bons amis nord-américains et les Russes ont compris qu'il y a une bataille pour le soft power.» Selon lui, cette bataille impliquerait d'utiliser l'information comme «outil de combat à l'échelle de la planète pour peser sur les décisions que prennent les pays».
Jusque-là, rien de très nouveau. Mais Jean-Luc Mélenchon estime que c'est bel et bien parce que Washington accuse du retard dans ce domaine et a demandé à ce que des mesures soient prises par les pays européens, parmi lesquels la France, que ceux-ci se sont mis à réfléchir à des dispositifs législatifs sous couvert de lutte contre les «fake news».
On a supposé je ne sais quelle aigreur du chef de l'Etat pendant la campagne présidentielle
La France, le Royaume-Uni et l'Allemagne «se sont empêtrés dans des discussions sans fin pour atteindre cet objectif sans attenter aux libertés», selon le député de Marseille. Il estime que le fond du débat ne concerne donc pas tant la vérité, l'erreur, le mensonge ou même l'information, mais qu'il s'agit bien d'un bras de fer entre Etats. «Allons-nous et quand interdire "Russia today" [ancien nom de RT] et Sputnik ? Il n'y a pas d'autres sujets !», a-t-il lancé.
La veille, dans un article publié sur son blog, Jean-Luc Mélenchon avait déjà développé cette idée. Il estimait qu'Emmanuel Macron s'était lancé dans une bataille «pour le "soft" pouvoir, après que les Russes ont pris pied dans un domaine où les USA régnaient seuls jusque-là». «Macron, en bon élève et suiveur du maître des USA, a pris à son compte ce qui n’était pourtant au départ qu’une campagne des agences d’influence nord-américaines», écrivait-il encore. Qualifiant de «danger» la nouvelle loi en discussion, il avait fait savoir que, «sous prétexte de viser "Russia today" et "Sputnik", tous les sites [étaient] désormais sous la menace d’une interruption décidée par le pouvoir».
Un débat qui s'ouvre au cœur d'une actualité chargée
C'est la ministre de la Culture qui avait ouvert les discussions, qui s'annoncent d'ores et déjà houleuses. «La manipulation de l’information est un poison lent qui abîme notre vie démocratique. L’attitude liberticide, face aux dangers actuels, c’est la passivité», a-t-elle martelé face aux députés. Selon elle, le texte ne ciblerait ni les auteurs des contenus, «très souvent anonymes d'ailleurs», mais bel et bien «ceux qui les diffusent».
En outre, Françoise Nyssen a soutenu : «Les garde-fous imaginés, les critères précis qui accompagnent chaque disposition, l’intensité du travail en commission, tout démontre qu’il a été abordé avec toute la sagesse, la mesure, le recul et les précautions qui s’imposent. Ce texte est à la hauteur de notre démocratie.»
Pieyre-Alexandre Anglade (LREM) a assuré pour sa part que «face à cette guerre hybride, qui expose les Français et les peuples européens en visant à les manipuler, nous sommes placés face à un choix simple : assurer enfin notre propre sécurité ou laisser, en ne faisant rien, d’autres décider pour les Français de l’avenir de leur pays et de celui de l’Europe.»
Opposée au texte, Constance Le Grip (LR) a jugé «l'enfer pavé de bonnes intentions», évoquant «le risque de voir des allégations qualifées de "fake news" par le juge, finalement fondées quelques jours plus tard».
Egalement critique sur la proposition de loi, Elsa Faucillon (PCF), a estimé que «le plus grand risque c’est que s’érige une vérité officielle» : «Nous avons évidemment toutes et tous en tête ici les affaires Cahuzac, Sarkozy/Kadhafi, Fillon, qui toutes ont été définies à leur sortie comme étant des fausses nouvelles. Il aura d’ailleurs fallu plusieurs années, citons juste Mediapart, pour obtenir gain de cause sur la véracité des documents.»
Le même jour, des syndicats de journalistes et des médias, comme Le Monde et L'Opinion ont dénoncé une loi «inutile» ou «potentiellement dangereuse», avec le risque également d'un effet pervers : légitimer une fausse information si le juge n'a pas les éléments pour l'interdire.