«Reconnaissance» envers un «héros» ou «hypocrisie» politique ? La promesse de naturalisation française faite par Emmanuel Macron au Malien ayant sauvé la vie d'un enfant à Paris a été dénoncée par les associations d'aide aux migrants comme une «récupération» masquant mal «la dureté» de sa politique migratoire. Un coup de communication politique qui tombe à point nommé pour le président de la République dont les scores dans les sondages se trouvaient au plus bas le 25 mai depuis sa prise de fonction, avec un trou d'air à seulement 40 points d'opinions favorables.
«On a un sentiment général de récupération politique éhontée» et «d'utilisation d'un fait divers pour faire de la communication et de l'affichage», a affirmé à l'AFP Jean-Claude Mas, le secrétaire général de La Cimade, association de défense des migrants et demandeurs d'asile créée en 1939.
Mamoudou Gassama, jeune malien de 22 ans sans-papiers arrivé en France en septembre, s'est vu promettre une naturalisation express par le chef de l’État lors d'une rencontre le 28 mai à l’Elysée. Il avait escaladé le 26 mai la façade d'un immeuble parisien pour sauver un enfant de quatre ans suspendu à un balcon.
Les associations se félicitent de l'avenir qui s'éclaircit désormais pour le jeune grimpeur. Mais elles n'oublient pas le tour de vis donné à la politique d'accueil des migrants à l'initiative du chef de l’Etat, qui avait déclaré en septembre : «Nous reconduisons beaucoup trop peu.»
«C'est une façon de donner le change et des gages, pour compenser une politique endurcie sur le contrôle, le tri et la reconduite à la frontière», estime Jean-Claude Mas. Mais «cela pose beaucoup de questions quand on sait ce que fait ce gouvernement», ajoute-t-il, évoquant le sort de sans-papiers «pourchassés, maintenus dans la précarité, non-reconnus dans leurs droits».
Une politique répressive qui broie des dizaines de milliers de personnes
En octobre, Emmanuel Macron avait souhaité reconduire à la frontière «de manière intraitable celles et ceux qui n'ont pas de titre [de séjour]», ce qui englobe potentiellement un public très large, le nombre de sans-papiers ayant récemment été estimé à 300 000 par le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb.
Or ces sans-papiers, rappellent les associations, jouent un rôle crucial dans des secteurs comme l'hôtellerie ou le bâtiment. Mamoudou Gassama travaillait d'ailleurs «au noir dans le bâtiment», selon son frère.
Aussi dans le geste du chef de l’Etat il y aurait «une part d'hypocrisie ou de cynisme», selon Claire Rodier du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés), qui dénonce «le contraste» avec une «politique répressive» qui «broie des dizaines de milliers de personnes».
L'incident durant lequel s'est illustré le jeune Malien a eu lieu quelques jours avant la présentation, ce 30 mai, en Commission des lois du Sénat du projet de loi sur l'asile et l'immigration, très contesté par les associations pour le durcissement de l'accès à la procédure d'asile et l'allongement de la rétention. Le texte avait donné lieu à des débats homériques à l'Assemblée.
Lors de sa rencontre avec le jeune homme, visiblement dépassé par le tourbillon politique et médiatique suscité par son geste, Emmanuel Macron a affirmé : «Vous êtes devenu un exemple car des millions de gens vous ont vu. C'est normal que la nation soit reconnaissante.» Mais il s'agit là d'une «décision exceptionnelle», a-t-il prévenu.
L'exécutif «achète à bon compte une image de bienveillance», s'agace Claire Rodier.
Les critiques pleuvent sur les réseaux sociaux
De nombreuses critiques ont également étaient exprimées sur les réseaux sociaux. Le mouvement Génération.s de Benoît Hamon a par exemple dénoncé un «sommet d'hypocrisie» tandis que la sénatrice écologiste Esther Benbassa a évoqué une «com' à l'état pur».
Cette mise en valeur d'un migrant, passé par la Libye et l'Italie, contribuera-t-elle à apaiser le débat sur ce sujet qui fait l'objet de nombreuses crispations ? Claire Rodier estime que ce n'est pas la première fois que l'on assiste à ce genre d'histoires «qui se décline avec des variantes».
En janvier 2015, Lassana Bathily, un demandeur d'asile malien, avait été naturalisé pour son rôle clé lors de la prise d'otage djihadiste de l'HyperCacher. Deux mois plus tard Armando Curri, un Albanais de 19 ans désigné meilleur apprenti menuisier de France, avait été régularisé in extremis pour aller chercher sa décoration au Sénat.
«A chaque fois, cela n'a pas déclenché un processus changeant le regard sur les sans-papiers», ajoute la responsable du Gisti.