Dès le 14 mai, un procès hors norme de trois semaines se déroulera au Tribunal de grande instance de Paris : après le démantèlement d'un réseau de prostitution nigériane, 16 prévenus seront jugés. Leurs victimes sont une cinquantaine de jeunes Nigérianes, dont de nombreuses mineures, tombées dans un engrenage qui les a précipitées dans la prostitution.
Dans ce procès dit des Authentic Sisters, les mis en cause sont soupçonnés de traite d'êtres humains aggravée et de proxénétisme aggravé.
Il est rare qu’un réseau de prostitution de cette envergure soit démembré par la police en France. «C’est très intéressant de voir un procès aussi gros avec autant de prévenus», explique Julia Rigal, chargée du pôle juridique dans l’association d'Equipes d'Action Contre le Proxénétisme (EACP).«Notre association se constitue partie civile dans un grand nombre de procès, mais dont les audiences durent en général une après-midi. Mais là le procès s’étale sur trois semaines !», se réjouit-elle.
«On retrouve ce qu’on appelle des mamas et des chefs de réseau en France, mais aussi d’autres qui pilotent depuis l’étranger, cela rend l’enquête compliquée. Et les victimes ont peur pour leurs familles car elles sont menacées de représailles par le réseau», explique Julia Rigal. Quelles peines peuvent les frapper ? «Pour du proxénétisme aggravé, ils peuvent être condamnés jusqu’à 10 ans. Avec la traite d'êtres humains, ils encourent davantage : jusqu'à un million d'euros d'amende. On peut s'attendre pour ce procès à des peines élevées», prévient-elle.
Les réseaux nigérians : un fonctionnement machiavélique
La prostitution nigériane est bien implantée en France, qui rapportait 15 millions d'euros en France en 2012 selon Le Parisienet n'a cessé de se développer depuis. Le mécanisme de recrutement et d'emprise dispose de rouages efficaces qui rendent leurs auteurs insaisissables. «Toute l’affaire est partie d’une femme qui a osé porter plainte, et la brigade de répression du proxénétisme a pu monter un dossier qui arrive jusqu’au tribunal correctionnel. Habituellement quand ces jeunes filles devenues prostituées portent plainte, elles ne parviennent pas à apporter suffisamment de précisions, car les proxénètes utilisent des numéros cachés, des surnoms...», détaille Julia Rigal.
Avec la traite d'êtres humains, ils encourent jusqu'à un million d'euros d'amende
Les jeunes filles sont recrutées au Nigéria avec des méthodes savamment orchestrées. Un groupe de jeunes amies pauvres est infiltré par une fille complice du réseau. Cette personne évoque la connaissance d’une femme très généreuse vivant en Europe, qui pourra aider l'une d'entre elles à devenir coiffeuse, ou faire des études en Occident, dans le but de soutenir sa famille dans le besoin. La jeune fille visée par le réseau peut être méfiante, la complice va alors la culpabiliser et lui dire qu’elle se doit d’apporter cet argent à ses proches.
La jeune cible rencontre alors d'autres personnes qui lui fourniront de faux papiers. Puis le réseau bâtit une emprise psychologique : la jeune cible est amenée à un rituel, le juju, sur une terre spirituelle, où elle doit se rendre accompagnée d'un membre de sa famille. Elle y jure fidélité à sa prétendue généreuse bienfaitrice et accepte de rembourser au réseau 60 000 euros. Ne sachant pas quel est le cours de cette monnaie ou ce que tout cela signifie, les jeunes filles se voient contraintes d’accepter, sans quoi elle devront rembourser des frais déjà engagés. «C’est très intimidant», explique Julia Rigal. «Une témoin a dit à son père qu’elle acceptait car il était trop trop tard pour faire machine arrière», poursuit-elle. La jeune fille est ensuite conduite de pays en pays, avec un nouveau maillon de chaîne à chaque étape, rendant le réseau difficilement traçable. Ultime étape : la France.
Lorsque la jeune filles arrive dans l’Hexagone, le piège se referme alors totalement. Hébergées par des mamas, en général d’ancienne prostituées nigérianes, la proie découvre qu’elle a une dette de 60 000 euros à rembourser. «Elle apprend par la mama qu’elle va devoir se prostituer. Ou alors les filles lui disent ce qu'elle doit faire», explique Julia Rigal.
Les filles du réseau se font souvent frapper, priver de nourriture ou violenter et nombre d’entre elles ont dû subir des avortement forcés. Elles ne se confient ni à la police, ni aux associations d’aide aux prostituées, car leur proxénètes les en dissuadent, les menaçant d’être renvoyées au Nigéria ou de s'en prendre à leur famille restée au Nigéria.
Même si ce procès fait date, et si de nombreuses victimes viendront témoigner à la barre, d’autres réseaux nigérians sont toujours très actifs dans le milieu de la prostitution.