«Susciter une affaire dans l'affaire», cet adage devenu le «théorème de Charles Pasqua» est désormais bien connu du milieu politique. Emmanuel Macron n'est-il pas justement en train de l'utiliser ?
Le 9 avril, devant la conférence des évêques, Emmanuel Macron a longuement discouru sur la relation qu'entretient la religion catholique avec l'Etat, la République et la Nation française. Fortement critiqué par certains commentateurs et responsables politiques, qui l'accusent de remettre en cause la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, le président de la République l'est également pour une autre raison. En effet, plusieurs opposants et commentateurs politiques pointent du doigt ce qui constituerait un écran de fumée, volontairement créé à travers ces propos. Le but ? Créer une «diversion», en imposant dans l'agenda politique et médiatique une controverse, afin de marginaliser les débats sur les réformes explosives, de la fonction publique ou du ferroviaire.
Ainsi, sur Europe 1, le journaliste Matthieu Noël s'amuse et voit dans Emmanuel Macron un lecteur de Machiavel : «Entre la SNCF, les zadistes et la visite du prince saoudien, comme ça faisait beaucoup, l'Elysée a eu le bon réflexe : "SOS diversion rigolote et débat stérile, bonjour".»
La députée européenne Virginie Rozière, des radicaux de gauche, semble également avoir identifié une diversion «grossière».
Dans la même veine, le député de La France insoumise (LFI) Eric Coquerel se demande, quant à lui, «si Emmanuel Macron n'opère pas à une stratégie de diversion avec ce discours, en nous faisant oublier les manifestations de cheminots, des étudiants...»
A gauche toujours, le conseiller (PCF) de Paris, Jean-Noël Acqua juge que «face à la fronde sociale, Emmanuel Macron tente la diversion en tentant les polémiques sociétales sur la laïcité».
Même son de cloche chez le porte-parole du parti Europe Ecologie Les Verts (EELV), Julien Bayou, qui estime sur CNews que le discours macroniste sur l'Eglise n'est rien d'autre qu'«une belle diversion», puisque le président n'a pas encore fait d'annonces concrètes à ce sujet.
«Diversion ? Manipulation ? La question se pose»
A droite aussi, une responsable politique a fait cette analyse – bien que Les Républicains (LR) ne mènent pas une opposition frontale aux réformes présidentielles sur la SNCF et la fonction publique. La vice-présidente LR du Conseil régional des Pays de Loire, Samia Soultani, répondant à un internaute visiblement favorable au chef d'Etat, s'est ainsi interrogée sur l'ensemble de la méthode appliquée par Emmanuel Macron cette semaine – qui sera, en outre, interviewé au 13 heures de TF1 le 12 avril : «Il ne vous est pas venu à l’esprit que dans la même semaine, Monsieur Macron appelant les catholiques à s’engager en politique et organisant une interview à 13 heures dans une commune rurale qui vote FN n’était peut-être pas dû au hasard ? Diversion ? Manipulation ? La question se pose.»
Du côté de la société civile, une section de la CFDT, «CFDT Helpline», assimile le discours du locataire de l'Elysée devant les évêques à une «dangereuse tentative de diversion des conflits sociaux».
En tout état de cause, les grèves vont se poursuivre et l'éventuel pari macronien d'étouffer la colère sociale sera scruté. A la SNCF, les grèves perlées reprendront les 13 et 14 avril. De leur côté, plusieurs syndicats d'Air France, qui ont déjà fait grève à plusieurs reprises au mois d'avril, ont déposé un préavis pour deux nouvelles journées de mobilisation les 17 et 18 avril. Enfin, la CGT a appelé à une journée de mobilisation générale le 19 avril.