Le préfet Gilles Clavreul a rendu un rapport explosif le 22 février sur l'état de la laïcité en France, à la demande du secrétariat général du ministère de l'Intérieur, sur proposition de l'Observatoire de la laïcité (assistant le gouvernement «dans son action visant au respect du principe de laïcité en France»). Pour élaborer cet écrit de 42 pages, Gilles Clavreul s'est déplacé entre le 22 octobre et le 15 janvier dans des départements à «dominante urbaine».
Plusieurs points alarmants sont évoqués dans ce document, révélé par Le Figaro. Ainsi, pour Gilles Clavreul, «l'affirmation identitaire progresse dans certains territoires, rendant difficile la pédagogie de la laïcité et le partage des valeurs républicaines». Parmi les territoires concernés, le rapport cible des agglomérations – Lille, Maubeuge, Toulouse, Marseille, Lyon, certaines communes des Yvelines – qui présentent «des phénomènes de radicalisation anciens [avec] un communautarisme fort et un prosélytisme religieux virulent».
Il ajoute que «les manifestations d’affirmation identitaire inspirées par la religion se multiplient et se diversifient [et qu'elles] sont le fait, dans la grande majorité des cas, d’un islam rigoriste voire radical, mais concernent également catholiques intégristes, mouvements évangéliques et juifs orthodoxes».
En outre, l'ancien délégué interministériel dit «résumer un constat quasi général : dans les lieux où la population de confession musulmane est présente, parfois de façon très majoritaire, le rapport à la République se tend sous l'effet d'une foi de plus en plus ouvertement revendiquée». Il évoque notamment la «radicalisation dans les enceintes sportives», ou encore des parents qui «exigent le voilement de leur fille».
15 recommandations pour renforcer l'esprit de la laïcité en France
Face à cela, Gilles Clavreul formule 15 recommandations. Parmi les plus fortes, il souhaite que l'Etat forme tous ses agents à la laïcité d'ici à 2020 et aussi cartographier les «situations problématiques». Par ailleurs, Gilles Clavreul conseille de placer auprès des préfets de région un «comité de veille de la laïcité et de la citoyenneté» chargée de rendre des avis et de formuler des propositions pour «aider à la résolution des conflits». D'autre part, Gilles Clauvreul souhaite renforcer «les exigences de formation à la laïcité» pour les candidats du brevet d'aptitude à la fonction d'animateur (Bafa) et au brevet d’aptitude à la fonction de directeur (BAFD).
Un rapport critiqué par l'Observatoire de la laïcité
Toutefois, le rapport ne fait pas l'unanimité, à commencer par l'Observatoire de la laïcité et son président Jean-Louis Bianco, partisan d'une «laïcité apaisée». «Si quelques propositions sont de bon sens, je regrette le manque de rigueur méthodologique de ce rapport (qui ne repose que sur des "dizaines de témoignages" dans "neuf départements") et la méconnaissance d'actions déjà mises en œuvre par les pouvoirs publics», a commenté l'ancien ministre, dans un communiqué diffusé sur Twitter. En effet, Gilles Clavreul se prononce, par exemple, pour la création d'un site internet public «www.laicite.gouv.fr.». Or, celui-ci existe déjà et renvoie vers la plateforme de l'Observatoire de la laïcité.
Sur Europe 1, Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité, «déçu du rapport», estime qu'il s'éloigne de la demande originelle, celle d'un «examen des situations pour améliorer la coordination entre administration de l'Etat et collectivités locales sur les questions de laïcité». En filigrane, il semble qu'en réalité deux visions politiques de la laïcité s'opposent entre l'Observatoire de la laïcité et Gilles Clavreul.
Engagé, Gilles Clavreul est en effet co-fondateur du Printemps républicain, mouvement de défense et de promotion des valeurs républicaines dont la laïcité. En 2017, durant les primaires socialistes, il avait également annoncé son soutien à l'ancien premier ministre Manuel Valls. D'ailleurs, l'opposition est parfois patente entre l'association et l'Observatoire de la laïcité. En février 2016, le Printemps républicain s'était scandalisé d'une déclaration de Jean-Louis Bianco. Interrogé par France culture sur sa proximité avec le rappeur Médine avec lequel il avait signé une tribune après les attentats de 2015, Jean-Louis Bianco confessait que, pour lui, le journal «Charlie Hebdo [disait] bien pire» que la phrase prononcée par le rappeur Médine dans l'une de ses chansons : «Crucifions les laïcs».