Reçus par la ministre des Transports Elisabeth Borne en compagnie de la direction de la SNCF le 19 février, quatre jours après la remise du rapport Spinetta au Premier ministre, les syndicats du rail ont fait entendre leur voix. Remise en cause du statut de cheminot, menace pour 9 000 kilomètres de réseaux moins fréquentés, ouverture à la concurrence : les 43 recommandations du document qui préconise une réforme profonde de la SNCF ne leur conviennent pas.
Pour en parler, RT France a donné la parole à Bérenger Cernon, secrétaire général de la CGT cheminots de Paris Gare de Lyon, et à Bruno Poncet, secrétaire fédéral du syndicat Sud Rail, qui a confié ses réactions à chaud après cet entretien.
Après avoir appris qu'Edouard Philippe allait donner le calendrier de l'avenir du rapport le 26 février, Bruno Poncet réagit : «La ministre a voulu recueillir les points qu’on avait relevés, c'était une visite informelle, histoire de planter le décor. Mais elle-même ne sait peut-être pas ce qui va être décidé, qui est dans d'autres mains. C'est Edouard Philippe qui donnera les directives sur l'avenir du rapport, s'il y a une loi, s'il y a passage en force...»
Le statut des cheminots : un «écran de fumée» ?
Le rapport de Jean-Cyril Spinetta, l'ancien PDG d'Air France-KLM, remis le 15 février au Premier ministre, suggère de mettre un terme au statut des cheminots pour les nouvelles recrues de la SNCF. Ce statut vieux de 90 ans concerne 150 000 personnes. Il préserve notamment ses agents du licenciement économique, leur donne un accès à un régime spécial de sécurité sociale et de retraite, ainsi que des avantages en nature.
Concernant ce statut, Bérenger Cernon évoque une «présentation erronée des avantages». «Le dimanche, on est payé 2 ou 3 euros de l’heure en plus», a-t-il annoncé. Pour lui, ce statut permettrait surtout «d’avoir des salariés qui peuvent travailler sept jours sur sept». Pour ce membre de la CGT, ce sujet serait surtout un «écran de fumée» qui occulterait les vrais problèmes accablant la SNCF. «Ce ne sont pas les cheminots qui sont responsables de l’état de délabrement du réseau ferroviaire [mais] les décisions politiques, les décisions d’entreprise», affirme-t-il.
9 000 kilomètres de fermeture de lignes
Le rapport préconise en outre la fermeture de lignes, notamment parmi celles du Transport express régional (TER). Ces lignes souvent en très mauvais état, transportent seulement 2% des voyageurs dans 9% des trains, et elles représentent 45% du réseau. Or, elles mobilisent actuellement 1,7 milliard d'euros par an, soit 16% des moyens consacrés au ferroviaire.
Le rapport recommande un audit d’un quart des liaisons TER, dont une partie serait gérée par l'Etat et l’autre, qualifié de «réseau obsolète», serait dévolue à la région, pour réaliser une économie de 1,2 milliard d'euros annuels.
Cependant, les collectivités ne disposent pas des budgets pharaoniques nécessaires à la réfection des lignes. Selon Bérenger Cernon, au lieu de penser aux coûts nécessairement élevés, il conviendrait de considérer combien le réseau «rapporte à l’économie française, au commerce».
Au sortir du rendez-vous avec la ministre, Bruno Poncet dresse un tableau sombre de la situation dans le cas où ces mesures seraient mises en place : «Ce sera la casse de beaucoup de lignes, qui créera l'isolement de nombreux Français. C’est le président qui va se retrouver avec des élections régionales et des gens mécontents.» Toutefois, la ministre lui a répondu que le rapport ne serait pas suivi sur les fermetures de réseaux. «Elle a dit qu'ils injecteraient 1,5 milliard dans les petites lignes, celles qu’il trouve non rentables. Mais on n'est surtout pas rassuré, car ils font des effets d’annonce au moment où il y a de la grogne», a-t-il estimé.
Démantèlement du service public
Suivant les recommandations de Bruxelles, le rapport Spinetta suggère de passer les établissements publics que sont SNCF Mobilités et SNCF réseaux (infrastructures) en sociétés anonymes, notamment pour permettre l'ouverture à la concurrence. Bérenger Cernon se montre critique : «Le service public a permis de faire tampon vis-à-vis de la crise, le service public est au service de la population [...] et aujourd'hui, c’est ce que l’on veut défendre.» Pour lui, les citoyens sont perdants et paieront plus cher en cas d’ouverture à la concurrence. «Nous avons expliqué à la ministre ce qu'était la concurrence. Par exemple, le service public ne mettra jamais la pression à un agent pour aller plus vite dans une optique de rentabilité, au risque de menacer la sécurité», a argué Bruno Poncet.
La dette colossale de la SNCF, nœud du problème ?
La dette de la SNCF, passée de moins de 30 milliards d'euros en 1990 à désormais plus de 50 milliards, n'a pas pu être endiguée par les ministres des Transports successifs. N’arrivant plus à financer ses différents investissements, l'Etat a fait porter la dette à la SNCF, sans que le montant n'en soit limité, et le gouffre s'est davantage creusé, entre autres avec la construction de lignes à grande vitesse sous les mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Selon le syndicaliste CGT, ce tonneau des Danaïdes a été créé par le gouvernement. Il conseille d’arrêter les «intérêts de la la dette, 3 700 euros par minute versés aux banques». «L’Etat doit reprendre cette dette dont il est le seul responsable. Ce ne sont pas les cheminots qui ont décidé d’investir dans les lignes grande vitesse, ou dans le TGV, c’est à l’Etat d’assumer ses responsabilités», conclut-il.