Le 3 février, France 2 diffusait dans son journal télévisé une enquête sur un projet gouvernemental présenté le 9 janvier par le Premier ministre Edouard Philippe : la baisse de la vitesse maximale sur les routes de 90 km/h à 80 km/h. Cette enquête aboutissait à une conclusion sans appel en faveur de la mesure : pour une différence d'à peine trois minutes sur 100 kilomètres de trajet, le bénéfice en terme de carburant et de sécurité était clairement supérieur pour un conducteur roulant à 80km/h.
En d'autres termes, ce reportage journalistique confirmait le bien-fondé du projet du gouvernement, qui souhaite appliquer cette mesure dès le 1er juillet. Il a par ailleurs été relayé par le parti de la majorité présidentielle, La République en marche (LREM), sur Twitter.
Hic : des journalistes et des associations se sont penchés sur le sujet. Ainsi, plusieurs éléments attestent que France 2 aurait bel et bien triché, voire menti, pour obtenir ses résultats.
Des voitures différentes, aux consommation naturellement différentes
Dès le début de l'enquête, le journaliste de France 2 informe qu'il réalise son test en faisant circuler sur un même tronçon «deux voitures identiques», l'une à 90km/h, l'autre à 80km/h. Or, l'outil de vérification des informations du journal Libération, Checknews, fait état d'un premier mensonge : si les deux voitures sont bien des Peugeot 308, il s'agit de deux modèles différents. Par investigation, Checknews assure que l'une a été produite en 2017, l'autre vraisemblablement en 2014.
Le nombre de chevaux vapeur, c'est-à-dire la puissance des deux véhicules, différeraient également. Dans un communiqué, l'association des Médias Auto et Moto (Amam) affirme, pour sa part, que si l'une des deux voitures possède 120 chevaux, l'autre n'en possède que 115, avec des «consommations homologuées sensiblement différentes». «Le modèle le plus récent est en effet plus économe de 0,5 litre aux cent kilomètres selon les données d’homologation. C’est pourtant celui qui servira à "démontrer" qu’il est plus économique de rouler à 80 km/h qu’à 90 km/h», argumente l'Amam.
Contacté par Checknews, un journaliste spécialisé dans le secteur automobile, Alexandre Lenoir, abonde sur le manque de rigueur de France 2. D'après lui, les véhicules sont conduits par des automobilistes différents, qui ont une conduite différente, ce qui fausserait les données : «Des techniciens d'un grand constructeur nous ont dit que pour la même voiture conduite par 200 personnes différentes, on observait, sur un trajet donné, des écarts de consommation de 2 litres aux 100 kilomètres», signale-t-il.
Tout aussi critique, le site Auto-moto confirme que «les deux voitures ne sont pas de la même génération et ne disposent pas du même moteur diesel». «[La plus récente] est moins vorace en carburant», précise-t-il. Et Checknews de poursuivre que les tests de consommation sont généralement pratiqués par des professionnels roulant sur circuit.
Des tests de freinage qui manqueraient de sérieux
L'Amam considère également que le test de freinage présenté par France 2, pour montrer la différence de sécurité entre 80 km/h et 90 km/h, est «parodique» pour plusieurs raisons, dont le fait «que la comparaison nécessite que les deux véhicules testés soient
strictement identiques, ce qui n’est pas le cas [dans le reportage]».
Auto-moto remarque en outre que l'un des conducteurs «effectue un véritable freinage d’urgence alors que l’autre ralentit davantage qu'il ne freine brutalement». «Du coup, les 8,50 mètres de différence nous paraissent totalement irréalistes», ajoute le site.
Le magazine Autoplus, l'une des références dans le secteur, est aussi scandalisé par «l'argumentaire bidon» de France 2.
En s'appuyant sur une Renault Kadjar dCi 130, Autoplus conclut que «la consommation (vitesse stabilisée) passe de 5,4l/100 km à 90 km/h à 4,9 à 80, soit 10% de moins, et donc autant de CO2». Très critique, Autoplus entend ainsi «balayer les arguments du gouvernement qui mentionne qu'«à 80 km/h, vous réalisez une économie de 120 euros par an en moyenne de carburant [et] une baisse d'émission de polluants de 30% de CO2.»
Une mesure soulevant des oppositions
Depuis qu'Edouard Philippe a annoncé ce projet de baisse de la vitesse maximale sur les routes, plusieurs personnalités politiques ont manifesté leur réserve, voire leur opposition. Le 9 février, sur BFMTV, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb ne s'est lui-même pas montré très enthousiaste sur son application : «C’est vrai qu’on aurait pu regarder les tranches les plus accidentogènes», concède-t-il tout en assurant qu'il «approuverait toujours les mesures du gouvernement» au motif qu'il fait partie d'une «équipe».
Le 8 février, un groupe de travail sénatorial a demandé par courrier à Edouard Philippe de «suspendre la mise en place» de l'abaissement à 80 km/h de la limitation de vitesse sur certaines routes, le temps qu'il livre ses conclusions sur cette mesure polémique.
Ce groupe, créé le 24 janvier, doit consulter «acteurs institutionnels, experts et associations pour mieux évaluer l'efficacité et l'impact» de cette mesure et souhaite s'entretenir avec les personnes consultées par le gouvernement «pour recueillir leurs observations et les arguments», explique-t-il. Il espère pouvoir rendre ses conclusions courant avril.