La cour d'appel de Paris a confirmé le 31 janvier le jugement rendu en première instance selon lequel la SNCF avait fait preuve de discrimination envers 848 cheminots marocains dans les années 1970. Ces derniers s'étaient portés partie civile. Il est toutefois impossible dans l'immédiat de connaître le nombre précis de cas de discriminations avérés, ni le montant total des dommages et intérêts. Ceux-ci pourraient avoisiner 180 millions d'euros, contre 170 prononcés en première instance, d'après l'avocat des cheminots, maître Clélie de Lesquen-Jonas.
La centaine deChibanis (cheveux blancs en arabe) présents devant la cour d'appel ont attendu une heure pendant que les avocats consultaient une partie des arrêts rendus. Puis leur avocat est sorti annoncer que la partie était «gagnée» avant d'être porté en triomphe. «Il y a eu aujourd'hui la confirmation des condamnations [pour discrimination] obtenues en première instance en matière de carrière et de retraite et nous avons obtenu en plus des dommages et intérêts pour préjudice moral [et pour] préjudice de formation», a déclaré Clélie de Lesquen-Jonas sous les vivats et les sifflets. «C'est un grand soulagement, une grande satisfaction», a-t-elle commenté.
Après de nombreux renvois et plus de 12 ans de procédure pour certains, la quasi-totalité des plaignants avaient obtenu gain de cause devant les Prud'hommes en septembre 2015. Mais l'entreprise avait fait appel de cette décision. Dans une déclaration à l'AFP, la SNCF a dit «prendre acte de la décision» rendue le 31 janvier. Ses avocats vont «étudier les décisions prises par la Cour d'appel pour chacun des 848 dossiers [et] à l'issue de cette analyse, SNCF Mobilités se réserve le droit d'un éventuel pourvoi en cassation», a-t-elle précisé.
La SNCF n'écarte pas l'éventualité de se pourvoir en cassation
Les cheminots, marocains pour la plupart (la moitié ont été naturalisés), ont été embauchés entre 1970 et 1983 par la SNCF, majoritairement comme contractuels, et n'ont pas bénéficié à ce titre du «statut» plus avantageux des cheminots, réservé aux ressortissants européens, sous condition d'âge. La disparition de cette clause de nationalité est notamment demandée par le syndicat SUD-rail, au côté des plaignants depuis le début, qui s'est «félicité» de cette condamnation. «La direction de la SNCF ne sort pas grandie de cette affaire», écrit-il dans un communiqué. La RATP a, elle, supprimé une clause similaire de nationalité en 2002.
«Des contractuels sont partis [en retraite] à 65 ans, alors que les cadres permanents sont partis à 55 ans», a ainsi expliqué à l'AFP Brahim Ydir, l'un des plaignants. Il a déploré avoir «travaillé dix ans de plus» qu'eux avec des salaires inférieurs, sans avoir «le droit de monter les grades» ni d'avoir accès «aux soins gratuits».
Tout au long de la procédure, le groupe public ferroviaire a nié une «quelconque politique discriminatoire à l'encontre des travailleurs marocains», estimant avoir constamment «veillé à l'égalité de traitement de tous ses agents dans l'environnement réglementaire décidé par les pouvoirs publics». Devant la cour d'appel, les avocats de la SNCF ont avancé que ces salariés «sans qualification» n'avaient «qu'une très faible chance, y compris s'ils avaient bénéficié des règles statutaires, d'arriver à une position cadre».
Ce n'est pas l'avis du Défenseur des droits qui avait pointé, par la voix de son représentant, une discrimination «organisée, statutaire» qui n'est pas sans lien avec «notre histoire coloniale». Dans un tweet le 31 janvier, il «se félicite de la décision de la cour d'appel de Paris». Les parties s'étaient également opposées sur le montant des éventuels dommages et intérêts. Les Chibanis ont demandé 628 millions d'euros en tout pour différents préjudices (carrière, retraite, formation, accès aux soins, santé, etc.), soit «700 000 euros par demandeur», selon la SNCF.