France

Hémorroïdes, grippe ou cancer : votre patron pourra-t-il bientôt connaître le motif de vos arrêts ?

L'Assurance maladie expérimente une action qui fait déjà polémique auprès des professionnels de la santé. Cette branche de la Sécu va livrer aux employeurs les motifs des arrêts de travail, dans les établissements de plus de 200 salariés.

Ce programme, lancé pour l'instant au stade expérimental depuis novembre 2017, ne manquera pas de faire parler de lui : celui de dévoiler aux entreprises les motifs d'absence de leurs salariés – de manière toutefois anonyme.

L'entreprise connaît son taux d'absentéisme, mais n'a pas de point de comparaison avec ses concurrents. Lui apporter ces informations peut la "challenger"

Pour Laurent Bailly, responsable du département des services aux assurés en charge du programme, contacté par L'Express, l'arrêt maladie est d'abord perçu par l'entreprise comme un coût : «L'entreprise connaît son taux d'absentéisme, mais n'a pas de point de comparaison avec ses concurrents. Lui apporter ces informations peut la "challenger". Et lui faire amorcer une réflexion sur ses conditions de travail, puisqu'on sait qu'il y a une corrélation entre ces dernières et le nombre et la durée des arrêts.»

Parmi les inquiétudes qui pourraient être soulevées par cette pratique : la violation du secret médical, censé protéger le salarié d'éventuelles discriminations. Une disposition qui a été mise en place en France, dans sa première forme, en 1810. Toutefois, là-dessus, Laurent Bailly assure que «qu'il n'est pas possible, même de manière indirecte, de tracer les personnes». «Par ailleurs, nous nous focalisons uniquement sur les établissements de plus de 200 salariés. Dans les plus petites sociétés, l'employeur pourrait trop facilement établir un lien évident avec tel ou tel collaborateur», garantit-il.

Et si Laurent Bailly signale que «les partenaires sociaux ont donné le feu vert pour cette expérimentation», il promet que, pour l'instant, «seuls les arrêts pour troubles musculo-squelettiques [TMS], les lombalgies, et ceux liés aux risques psychosociaux [RPS]» seront ciblés par l'Assurance maladie. Par conséquent, les virus et maladies de longue durée comme le diabète sont pour l'instant écartés de la transmission des données. Mais jusqu'à quand ? D'autant que l'Assurance maladie, fait savoir Laurent Bailly, a déjà créé des «algorithmes [pour] reconstituer la pathologie [...] comme la dépression [...] à partir des consultations et des remboursements de médicaments», si l'institution n'avait pas reçu le motif précis de l'arrêt.

De plus, cette expérimentation, qui vise une quarantaine d'entreprise en 2018 selon Laurent Bailly, pourrait concerner «200 entreprises par an, à terme». Un projet qui ne devrait donc pas se limiter au simple stade expérimental. Et c'est ce qui inquiète plusieurs professionnels de la santé.

Des professionnels de santé inquiets

Le secret médical serait-il sans importance ? L’Assurance maladie le bafoue

Le docteur Jérôme Marty, de l'Union française pour une médecine libre (UFML), s'interroge et interpelle sur Twitter Nicolas Revel, actuel directeur général de l'Assurance maladie : «Le secret médical serait-il sans importance ? L’Assurance maladie le bafoue, et pour l’instant pas d’interrogation ou de réactions autres que sur réseaux sociaux. Fake news ? Une réaction Monsieur Revel ?»

Le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), quant à lui, s'indigne sur Twitter d'«une expérimentation scandaleuse, en violation du secret médical».

La rhumatologue Marie-Anne Burde se scandalise de la raison économique, invoquée par Laurent Bailly, pour lancer cette expérimentation. «Ce pays a perdu sa boussole», décrit-elle.

Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), se montre quelque peu résigné : «Plus rien ne m'étonne : atteinte à la vie privée [et] secret médical piétiné ! Pas besoin de la Cnil [Commission nationale de l'informatique et des libertés] ? Nicolas Revel se croit tout permis ?».

Concernant la CNIL, chargée de protéger les libertés des citoyens et sa vie privée, Laurent Bailly atteste que le programme n'avait pas «de demande d'autorisation à effectuer» auprès d'elle. «Pour l'utilisation de ces données à titre expérimental, nous sommes couverts par des décrets qui permettent une simple déclaration de conformité», a-t-il expliqué.

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