L'ancien ministre RPR Jacques Toubon, Défenseur des droits depuis 2014, est monté au créneau pour réagir au durcissement du gouvernement au sujet de la politique migratoire. Sur l’antenne de France Inter le 18 décembre, date de la Journée internationale des migrants, il a poussé un cri d'alarme : «Je suis très actif pour [...] dire qu'il y a dans la situation des étrangers aujourd'hui, dans notre pays, une défaillance nette par rapport aux respects des droits fondamentaux.»
En cause : une nouvelle circulaire datée du 12 décembre qui prévoit le recensement des migrants dans les centres d’hébergement d’urgence. Nommé sous le mandat de François Hollande au grand dam de la gauche, Jacques Toubon surprend par ces propos, lui qui a, au cours de sa carrière, affiché des positions plutôt conservatrices.
La circulaire stipule que des équipes volantes seront envoyées dans les centres gérés par des associations afin d’orienter leurs occupants vers des structures différentes selon leur statut de réfugié, demandeur d'asile, débouté... Ce texte coercitif met fin, selon des associations humanitaires, au droit d’hébergement pour tous qui prévalait jusqu’ici. Selon elles, le texte a pour but d’identifier les migrants et de «procéder à un examen contraint de leur droit au séjour en France». Emmaüs, la Cimade ou encore la fondation Abbé Pierre en ont appelé au Défenseur des droits.
Jacques Toubon abonde dans leur sens : «Il y aurait un tri, une intervention dans certaines préfectures des services de police à l'intérieur des centres sociaux d'hébergement d'urgence, avec tous les risques de conflit [que cela engendre]», a-t-il alerté. Le Défenseur a même estimé que cette circulaire pourrait entraîner une «condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme». Il déploré en ce sens le «changement complet» de politique du gouvernement.
Il affirme avoir «écrit à Monsieur Collomb le 14 décembre», pour l'interroger sur «un point essentiel», «le droit à un recours» des migrants écartés de ces centres, qui sont susceptibles d’être expulsés.
Des positions conservatrices et des suspicions d'entrave à la justice
Le Défenseur des droits est une institution indépendante de l'Etat. Créée en 2011 et inscrite dans la Constitution, elle doit répondre à deux missions : défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés et permettre leur égalité dans l'accès aux droits.
Mais s'il occupe aujourd'hui cette fonction, Jacques Toubon, après sa longue carrière au RPR, a pourtant ses détracteurs qui lui reprochent des positions conservatrices.
L'ancien garde des Sceaux sous Jacques Chirac a été nommé par François Hollande le 9 juin 2014. Cette intronisation avait fait grincer des dents à gauche, qui s'était fortement mobilisée contre cette décision. Concernant le projet de loi sur l'abolition de la peine de mort, qu’il soutenait pourtant, il a voté contre le projet de loi dans son ensemble à cause d’un amendement à la marge qui lui déplaisait. En 1981, il a voté contre l'abrogation de l’alinéa 2 de la loi 331, qui pénalisait l’homosexualité en dessous de 18 ans. Il s’était également opposé au Pacs, proposant à la place un contrat très sommaire appelé «pic».
Mais on retiendra surtout la présence de son nom dans de nombreux dossiers liés à des affaires de justice ou d'entraves supposées au bon fonctionnement des enquêtes. Durant son mandat en tant que garde des Sceaux, il a plusieurs fois nommé les magistrats contre les avis du Conseil Supérieur de la magistrature qui s'en était plaint dans un rapport de 1997, selon Libération. Une autre polémique monstre avait accablé Jacques Toubon, lorsque l’adjoint au procureur de l’Essonne avait ouvert en novembre 1996 une information judiciaire contre Xavière Tibéri, l’épouse de l’ancien maire de Paris Jacques Tibéri. L'ancien garde des Sceaux avait envoyé un hélicoptère dans l’Himalaya à la recherche du procureur lui-même afin qu'il s'oppose à la mise en examen de la femme du maire.
Jacques Toubon avait aussi fait scandale en ralentissant les relations d’entraide judiciaire entre la France et la Suisse dans le but de lutter contre le blanchiment d’argent. Bernard Bertossa, le procureur général de Genève, avait vivement réagi en 1995, cité par Libération : «Alors que ses prédécesseurs se contentaient de ne rien faire pour améliorer l'entraide, lui, il intervient carrément pour qu'elle fonctionne plus mal.»
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