France

Nouveau mode de scrutin aux européennes : un avantage pour Macron... et pour les eurosceptiques

En réformant le mode de scrutin pour les européennes de 2018, Emmanuel Macron espère favoriser l'émergence d'un bloc pro-européen dont il serait l'unique leader et d'un bloc d'opposition dont La France insoumise et le FN se disputeraient les rennes.

Ce 29 novembre, Jean-Christophe Lagarde, président de l'Union des démocrates et indépendants (UDI) a fini par mettre un terme au mystère entourant la réforme du mode de scrutin des élections européennes. Dès la prochaine échéance, qui aura lieu en 2019, Emmanuel Macron envisage de passer à un système par liste nationale, renonçant donc aux circonscriptions multirégionales. Le leader centriste a grillé la politesse de quelques heures à Edouard Philippe, qui devait présenter le texte de loi permettant d'introduire cette modification ce même jour.

La question, quelque peu technique, peut sembler anecdotique. En réalité, elle est d'autant plus importante que ses conséquences politiques sont grandes. Le président de la République, qui en est parfaitement conscient, a d'ailleurs reçu les différents chefs de partis politiques à l'Elysée la semaine dernière. De Marine Le Pen pour le Front national (FN) à Jean-Luc Mélenchon pour la France insoumise (LFI) en passant par Christophe Castaner, fraîchement élu à la tête de La République en marche (LREM), Emmanuel Macron a tenu à ne négliger personne dans ses consultations.

Une fois n'est pas coutume, tous les partis, à l'exception notable des Républicains (LR), semblaient d'accord pour revenir à un scrutin national dans lequel chaque parti présentera donc une liste commune pour tout le territoire. Depuis 2004, une réforme introduite par Jean-Pierre Raffarin découpait en effet la France en huit circonscriptions ne correspondant à aucune division administrative ou territoriale. Ce système était régulièrement critiqué pour son manque de lisibilité et pour les complications qu'il induisait sur le terrain, les électeurs ayant du mal à s'y retrouver.

Une élection plus claire et plus simple pour des partis en difficulté

Le retour à la circonscription unique, comme elle existe dans de nombreux autres pays membres de l'Union européenne, aura pour premier effet de clarifier l'offre électorale. C'est du moins ce qu'en attendent les dirigeants des principaux partis. «Le scrutin par régions escamot[ait] le débat européen pourtant central», estime ainsi Jean-Christophe Lagarde, cité par L'Humanité.

Concrètement, chaque parti aura donc une tête d'affiche qui le représentera à l'échelle du pays entier. La campagne électorale, dans les médias comme sur le terrain, devrait donc être considérablement facilitée. Dans une période où les partis politiques voient leur influence remise en question et leur implantation dans les couches de la société pâtir d'une certaine impopularité, ces modalités nouvelles présentent au moins autant d'avantages pratiques que financiers. 

Cette simplification a tout pour convenir à LREM, parti qui peine à prendre ses marques dans le paysage politique français. Sans implantation locale mûrie de longue date, le parti présidentiel n'est pas assuré d'obtenir des résultats électoraux à la hauteur de ce qu'il entend représenter. Le manque de militants et d'expérience poliltique constituent des obstacles qu'une grande campagne nationale, plus médiatique et plus centralisée, peuvent permettre de surmonter. En outre, Emmanuel Macron sait qu'il peut profiter de son discours européen, dans lequel se retrouvent des personnalités venues de la gauche comme de la droite, pour siphonner encore davantage les partis traditionnels.

La France insoumise et le FN devraient en tirer profit... avec la bénédiction de Macron

En simplifiant le mode de scrutin et le déroulement de la campagne, Emmanuel Macron entend également simplifier la lecture du paysage politique. Les élections européennes constituent d'ailleurs l'occasion parfaite pour ce faire, puisque la recomposition politique autour d'un clivage entre européistes et eurosceptiques semble se substituer au clivage gauche-droite. Traditionnellement, les élections européennes servent à sanctionner le gouvernement en place. L'objectif d'Emmanuel Macron est d'éviter cela, tout en donnant au scrutin une réelle portée européenne : dans cette mesure, le chef de l'Etat espère peut-être même apparaître comme le héraut des libéraux à l'échelle du continent...

Le FN et LFI, qui entendent tous deux incarner la première force d'opposition au président de la République, ont tout à gagner d'une telle polarisation des débats. La critique de l'Europe occupe d'ailleurs une place de choix dans leurs programmes respectifs. Emmanuel Macron semble convaincu qu'en favorisant l'émergence de LFI et du FN face à lui, il évincera Les Républicains et les socialistes. Il semble en effet espérer que les deux partis traditionnels se retrouveront coincés entre deux blocs d'opposition rivaux, l'un mené par Jean-Luc Mélenchon, l'autre par Marine Le Pen. Suffisamment forts pour incarner l'opposition, ils sont également censés se neutraliser mutuellement, aucun d'eux ne disposant d'un nombre suffisant d'électeurs pour devenir majoritaire. Dès lors, la voie serait libre pour LREM.

Cette réforme annonce donc des défis de poids pour ceux qui entendent contester à LREM le monopole du discours pro-européen ou au FN celui de la critique de l'UE. Sans doute Florian Philippot et Les Patriotes, son nouveau mouvement, espèrent-ils profiter de l'occasion pour s'implanter. Il s'agirait pour eux de porter le discours, abandonné depuis peu par le FN, d'une sortie de l'UE. Mais, pour les petits partis, le maintien annoncé du seuil des 5% des suffrages exprimés pour obtenir au moins un élu risque d'être un sérieux handicap. Quant aux frais de campagne, la règle qui encadre leur remboursement ne change pas non plus : un parti devra, pour y prétendre, réaliser un score égal ou supérieur à 3% des suffrages exprimés.