C'est un procès qui fera date. Débutant ce 27 novembre, il met en cause l'Etat dans la mort d'une dizaine de personnes dont les cancers sont imputés par les plaignants aux rejets de dioxine d'un incinérateur de Seine et Marne. Cette dizaine de victimes et une dizaine d'autres riverains ont été touchés par le même cancer : le lymphome non hodgkinien (LNH). Les avocats des 162 parties civiles, Pierre-Olivier Sur et Agathe Blanc, suspectent l’incinérateur d’ordures, fermé depuis 15 ans et exploité à l'époque par la communauté d’agglomération de Melun (Seine-et-Marne), d’en être responsable. En 2002, des analyses de ses rejets avaient mis en avant des taux de dioxines «plus de 2 000 fois» supérieurs à la norme, affirme Pascale Coffinet, maire de Maincy de 2001 à 2008 et présidente de l'Association de défense des victimes de l'incinération et de leur environnement (Avie).
«Ce sera un procès impressionnant. C’est la première fois en France qu’une pollution par les perturbateurs endocriniens sera jugée, avec une réelle chance de condamnation. Ce sera la première jurisprudence en la matière», a déclaré Pierre-Olivier Sur, selon actu.fr. La ville de Maincy, qui se porte également partie civile est défendue par maître Corinne Lepage.
La dioxine est assimilable à des perturbateurs endocriniens. Une dizaine de riverains souffrent actuellement de ce cancer et tous ceux qui ne sont pas malades ont l'angoisse «terrible» de le devenir, selon les avocats cités par l'AFP.
La colère des riverains
«On savait que l’usine était obsolète, vu les fumées parfois très noires qui en ressortaient. Je me souviens très bien de la suie sur les tables de jardin», a affirmé Pierre Carassus (Gauche républicaine), maire de 1989 à 2012, au quotidien Le Parisien. Lorsque les particules de dioxine contenues dans les fumées retombent, elles se déposent sur les toits et sur les sols, où elles peuvent persister plusieurs années. Elles se fixent en outre dans les matières grasses : le lait des vaches, les œufs des poules élevées en plein air...«Notre conseil municipal a voté pour demander la fermeture du site, mais la préfecture ne nous a pas entendus», a-t-il dénoncé.
Les taux étaient si élevés que le laboratoire a téléphoné pour m'avertir du danger
En octobre 1998, une étude des rejets atmosphériques de l’incinérateur mis en activité en 1976, révèle une présence de dioxines 1 700 fois supérieure aux normes autorisées.
En 1999, le préfet demande d'appliquer un arrêté ministériel selon lequel les gros incinérateurs devaient se mettre aux normes européennes. En 2001, il met en demeure le syndicat intercommunal de s'y conformer. Mais la mise aux normes tarde.
En mars 2002, la analyses ont prouvé que les taux de dioxine étaient 2 200 fois supérieurs aux normes. Pascale Coffinet, alors maire de Maincy, fait analyser son sang et les œufs de ses poules : «Les taux étaient si élevés que le laboratoire a téléphoné pour m'avertir du danger», se souvient-elle. En juin 2002, l’usine de déchets ferme par arrêté préfectoral. En décembre, un autre arrêté préfectoral exige des analyses de la terre et de la flore.
En 2003, l'administration déconseille, par précaution, la culture des cucurbitacées aux alentours et la consommation d’œufs et volailles de plein air. Un troupeau de vaches est abattu. Pascale Coffinet porte plainte en 2003, comme de nombreux riverains et commence à mener le combat.
Puis les premiers cancers se déclarent. La fille de Francis Galloy, premier adjoint au maire à Maincy, l’un des plaignants, est emportée en deux mois en 2014 par un cancer rare, un sarcome des tissus mous. Selon lui, l’oncologue a écarté les causes génétiques, en l’absence de cas semblables dans la famille. Les lymphomes sont des tumeurs malignes du système lymphatique. Leur incidence en France est de 13 cas pour 100 000 (7e rang des cancers). Il en existe deux formes principales : le lymphome de Hodgkin, et les lymphomes non hodgkiniens, les plus fréquents. Le site cancer environnement, portail officiel d'information sur les facteurs de cancers liés à l'environnement, cite des rapports établissant un lien entre la dioxine et la survenue de cancers. L'étude dite «de Viel» confirme les résultats d’une première étude réalisée en 2000 autour de l’incinérateur de Besançon. Ils observent une incidence élevée de LNH chez les riverains fortement exposés aux rejets des fumées émises par les incinérateurs pour la période (1990-1999).
L’ancien syndicat chargé de traiter les ordures de l’agglomération melunaise, le Siguam, gérait ce site, mais il a été en 2002 absorbé par la Communauté d’agglomération Melun Val-de-Seine (CAMVS). Elle est aujourd’hui poursuivie pour infraction à la législation sur les installations classées et mise en danger d’autrui. Elle est jugée pour «mise en danger de la personne» entre 1999 et 2002, car, après l'injonction de mise aux normes par le préfet, elle n'a pas ordonnée au Siguam de mener les travaux requis. Elle est aussi jugée pour «poursuite d'une installation classée non conforme» entre mars et juin 2002, date de fermeture de l'incinérateur. Le procès doit se dérouler jusqu'au 12 décembre.
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