C’est le choc de deux robustes égos. Le philosophe Bernard-Henri Lévy n’a goûté ni la défense et les interventions de l’avocat Eric Dupont-Moretti lors du procès d'Abdelkader Merah, qui s'est achevé le 2 novembre, ni ses interventions dans les médias. Il a exprimé son émoi dans un édito paru le 13 novembre sur le site de sa revue, La règle du jeu. La réponse du ténor du barreau n’a point tardé, en un bref exercice rhétorique assez convenu mais dans lequel il ridiculise son accusateur, concluant sa lettre par une formule empruntée qui a réjoui nombre d'internautes : «Vieille pompe à merde».
Premier round : l'avocat blâmé pour ses «excès locutoires» et son «obscénité»
C’est la participation d’«Acquittator», l’homme aux 120 acquittements à l’émission de Nicolas Demorand sur France Inter, qui a ulcéré l'écrivain. Celui-ci dénonce ses «excès locutoires», ses «facilités d’épitoge», «l’évidence de son inculture». Le philosophe à la chemise blanche lui reproche le contenu de ses réflexions au procès, qui seraient selon lui teintées d’«obscénité», comme le moment ou l'avocat a déclaré que la mère de Mohammed Merah avait «elle aussi» perdu un fils. Son intervention radiophonique a convaincu le philosophe que l’avocat se drapait dans la grandiloquence et la vanité et se livrait à un «absurde numéro de donquichottisme».
Il y avait quelque chose de pathétique dans cette attitude victimaire et narcissique
BHL dit n'avoir jamais entendu «pareils accès de vanité» chez des avocats défendant des accusés de meurtres épouvantables. «Il y avait quelque chose de pathétique dans cette attitude victimaire et narcissique, dans cette façon de nous dire que le seul supplicié du procès, pour Dupond-Moretti, c’était Dupond-Moretti», déplore le philosophe.
«Comment un avocat, Eric Dupond-Moretti, a-t-il bien pu rater ce vrai rendez-vous avec la justice qu'était le Procès Merah ?», s'interroge enfin l'écrivain sur Twitter.
La réplique : BHL traité d'«arbitre des élégances» et de «vieille pompe à merde»
La réponse d’«Acquittator», sur une brève lettre signée de sa main, a fait le tour des réseaux sociaux. Plongé dans le bûcher des vanités par BHL, l'avocat y renvoie son contradicteur. Dans un style plus ironique, moins emphatique, le pénaliste raille les clichés qui accablent le philosophe : moquer la mise en scène en costume, le rôle que s’assigne l’écrivain voyageur...
«Il ne manquait que votre plume dans ce débat... et c'est paradoxal, vous avez, avec votre modestie naturelle, comblé ce vide abyssal», écrit l'avocat. Il se gausse de Bernard-Henri Lévy «l'arbitre des élégances» et de ses «effets chemise Charvet [nom du fournisseur du philosophe] toujours ouvertes et toujours parfaitement blanches».
Le pénaliste le renvoie au savoir de son fils, Antonin Lévy, avocat de François Fillon : «Vous démontrez que vous ne connaissez rien aux droits de la défense, posez donc quelques questions à votre fils.» L'avocat en profite pour lui rappeler l’affaire Botul, philosophe que BHL avait cité dans son livre De la guerre en philosophie paru en 2010... alors qu'il s'agissait d'un philosophe fictif inventé par Le Canard enchaîné. Pour porter l’estocade, le ténor du barreau convoque une lettre anthologique d’un célèbre peintre surréaliste belge : «Le 3 mai 1936, Magritte a écrit au critique Dupierreux qu'il n'était qu'une "vieille pompe à merde", je n'ai, hélas ni le talent, ni l'audace de Magritte.» La lettre, authentifiée est visible sur Twitter.
BHL et Dupont-Moretti, des personnalités polémiques
Le brillant avocat Dupond-Moretti s’est fait connaître avec la plaidoirie d’Outreau en 2004. Il s'est depuis fait une spécialité d’aligner des figures controversées, voire honnies, dans la liste de ses clients, comme Bernard Tapie, Karim Benzema ou le violeur Loïc Sécher. Sa dernière affaire? Abdelkader Merah, qu’il a défendu au procès à titre gratuit, ayant touché 12 000 euros pour l'instruction. Ce dossier sensible lui a valu une fronde populaire, des insultes et des menaces envers sa famille. Sa ligne de défense, qui exonérait totalement le frère du terroriste de toute culpabilité, et ses appels à comprendre leur famille dysfonctionnelle, ont été très mal perçus par une partie de l’opinion. Il s’est vu notamment traité d’avocat pro-Daesh, en raison de ce procès qu’il considère comme «le plus difficile de sa carrière».
Lors de ses interventions dans les médias, il est apparu blessé, invoquant la justice comme l’un des fondements de la démocratie, qui permet selon lui de «confisquer à la victime le droit à la vengeance». Son échange très vif avec Nicolas Demorand sur RTL, qui le prend vigoureusement à partie, semble témoigner de l’agressivité dont il fait actuellement l’objet.
Quant à Bernard-Henri Lévy, il a été à diverses reprises la risée des médias et des réseaux sociaux en raison de ses mises en scène sur les terrains de guerre, où il prend constamment la pose. Entre autres, sa photo tronquée à Sarajevo, sur laquelle, entouré de barbelé, il feignait de se trouver en danger derrière une barricade, avait provoqué l’hilarité lorsque Le Canard enchaîné avait dévoilé le cliché entier, sur lequel on pouvait voir des badauds déambulant nonchalamment.
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