Par un triste hasard de calendrier, le déraillement du train d’essai 744 de la Ligne à grande vitesse (LGV) ayant fait 11 morts et 21 blessés graves est survenu le samedi 14 novembre 2015, au lendemain des attentats du Bataclan et des terrasses du 13 novembre. Les familles des victimes, impuissantes, ont baigné dans un quasi silence médiatique tout en étant confrontées aux incohérences du dossier.
Le rapport final de l'expertise judiciaire vient d'être remis aux juges d’instruction. Selon l'AFP, il souligne des erreurs ayant eu lieu durant la phase de préparation de l'essai et un «manque d'expérience et de formation» du personnel en matière d'essais. «Ce rapport attendu met clairement en cause la SNCF et Systra [sa filiale ingénierie] dans des conditions que nous connaissions déjà», a déclaré à l'AFP Gérard Chemla, l'avocat de la famille d'une victime, Fanny Mary, âgée de 25 ans au moment de l'accident. Son frère a confié à RT France ses nombreuses interrogations sur le dossier.
Le frère d'une victime demande des éclaircissements à la SNCF
Un premier rapport d’enquête mené par la direction des audits de sécurité a été rendu le 19 novembre 2015. Il attribue «de façon certaine le déraillement du train d’essai […], à une vitesse du train de 243 km/h au point de déraillement, nettement supérieure à celle prescrite au programme d’essai (176 km/h). Cette vitesse trop importante résulte d’une séquence de freinage tardif qui aurait dû être exercé sensiblement plus en amont».
Depuis, d'autres rapports sont sortis, laissant subsister des zones d'ombre et soulignant la responsabilité de la SNCF et Systra. Or pour le moment, seuls un conducteur, un cadre de la SNCF ainsi qu'un salarié de Systra ont été mis en examen en octobre 2016 pour homicides et blessures involontaires.
Arthur Mary a épluché les 8 400 pages de dossiers et n'obtient toujours pas de réponses à ses nombreuses questions. En face de lui, des géants peu communicatifs : la SNCF et Alstom, le fabricant du train. Malgré ses requêtes, le juge qui instruit l’affaire n’a pas encore souhaité expertiser la rame, arguant que les premiers rapports avaient établi que l’accident était dû à un excès de vitesse et non pas à un problème matériel. «Le juge m’a dit en mai 2017 que cette expertise était prématurée», explique Arthur Mary, qui s'est confié à RT France. «Or aujourd’hui, les plantes poussent dessus, car l’accident a eu lieu il y a deux ans.»
Personne n'a prévenu ma sœur qu’on avait coupé le système d’arrêt automatique
Sa sœur Fanny, qui n'avait pas de lien avec la SCNF ou Systra, avait accompagné un ami ce jour-là à bord de la rame, en tant qu'invitée. Or le train roulait sans système de sécurité, justement pour qu’il teste des pointes de vitesse. «Dans ce cas qu’ils n’invitent pas des gens extérieurs à la société ! Personne n'a prévenu ma sœur qu’on avait coupé le système d’arrêt automatique. On a fait prendre des risques à Fanny sans qu’elle ne soit au courant», se désole Arthur Mary. «En temps normal, il y aurait dû y avoir 20 personnes maximum dans les rames, or ce jour-là ils étaient de 60 à 53.»
De troublantes questions en suspens
Sur la question de la vitesse, Arthur Mary a aussi beaucoup à dire. Le constructeur de la rame, Alstom, avait averti avoir testé le train pour des vitesses allant jusqu’à 350 km/h maximum. Selon Arthur Mary, le centre d’ingénierie qui établissait les calculs de vitesse maximale pour les essais SNCF aurait poussé les conducteurs à dépasser les 360 km/h sans réelle précaution. «Plusieurs semaines avant l’essai, les conducteurs ont dit qu’ils ne pousseraient pas jusqu'à 357 km/h, or les ingénieurs disaient que ça tiendrait jusqu’à 360», explique Arthur Mary. «Or quand le train a atteint 362 km/h, la boite noire a révélé que quelqu’un avait dit : "Hé, on n’est pas en excès de vitesse ? On est en survitesse essieu"», poursuit-il.
Tous les rapports rendus sur l'accident montrent que la vitesse excessive est en cause. Il faut savoir que les essais du 11 novembre avec le même train sur une portion de voie parallèle avaient failli aussi se terminer en drame également à cause de la vitesse, comme l'a révélé Franceinfo.
Autre question troublante : le juge a ordonné une vingtaine d’écoutes à la suite de l’accident. Or Arthur Mary estime que les écoutes téléphoniques montreraient un défaut de freinage d’urgence sur le TGV d’Alstom. «Le conducteur du train a effectué un freinage d'urgence [permettant en théorie d'arrêter net le train] durant deux secondes, mais ça n’a pas suffi à arrêter le train et quand il est repassé au freinage maximum, ça n’a pas marché non plus», estime-t-il. Encore plus gênant : sur les deux boîtes noires, l’une des deux n’avait plus son plombage de sécurité, bien qu'en parfait état.
Aujourd’hui, la famille de Fanny Mary, dans une peine immense, attend beaucoup. «Nous voulons que l’on réponde à nos questions réellement. Pourquoi Systra et la SNCF invitent-ils tant de monde ? Pourquoi le freinage ne marche pas ? On voudrait une enquête sur le freinage d’urgence», plaide Arthur Mary.
Une immense catastrophe ferroviaire
C’est la pire catastrophe ferroviaire qu'a connue le TGV depuis son lancement en 1981. Le 14 novembre 2015 à 14h28, une rame d’essai quitte la gare de Meuse et fend la campagne alsacienne. A bord, des cheminots, du personnel SNCF et Systra, mais aussi des invités qui n'ont rien à voir avec les entreprises, en surnombre. A 15 heures 4 minutes et 42 secondes, le TGV déraille en amont d’un pont sur la commune d’Eckwersheim, à vingt kilomètres de Strasbourg. Une partie vient heurter un parapet de béton, le train se disloque, des voitures dévalent un talus, échouent dans un canal, d'autres éléments stoppent leur course à 150 mètres du lieu de déraillement. La motrice arrière et deux voitures finissent leur course dans un canal. Dans cet horrible accident, sur les 53 personnes présentes, 11 personnes perdent la vie, 21 sont gravement blessées. Parmi les morts, deux étaient des invités.
Aujourd’hui, l’incompréhension saisit une partie des famille des victimes qui attendent des réponses. D'autres, qui pleurent leurs morts cheminots, font actuellement corps avec la SNCF.