France

Edouard Philippe, arme de destruction massive du PS et des Républicains

La nomination du maire du Havre à Matignon confirme l'installation du clivage pour ou contre Emmanuel Macron, lequel parcourt et divise les vieux partis. Et le processus de morcellement se poursuit, les réactions de la classe politique en témoignent.

Issu des rangs des Républicains, passé par le Parti socialiste, Edouard Philippe est l'homme de la situation, nommé avant tout pour mener la bataille des législatives. Sous couvert de rassemblement sous la bannière de La République en marche (LREM), c'est aussi un grand tri qui est mis en œuvre. Sans surprise, tant Jean-Luc Mélenchon que Marine Le Pen ne tarissent pas de critiques quant à la nomination à Matignon d'Edouard Philippe. Le leader de la France insoumise dénonce ainsi une confiscation de la vie politique. «Le nouveau président de la République vient de prendre le commandement de toute la classe politique traditionnelle de notre pays», a-t-il résumé.

Selon Jean-Luc Mélenchon ,«le Parti socialiste av[ait] déjà été absorbé puisque ses élus et ses candidats par dizaines ont demandé l'investiture de monsieur Macron». Et maintenant, analyse-t-il, «la droite vient d'être annexée». A suivre le candidat Mélenchon, Edouard Philippe, bien loin de rassembler, aurait plutôt été choisi pour cliver encore un peu plus les deux partis cibles d'Emmanuel Macron : un Parti socialiste moribond et un parti Les Républicains fragile et divisé.

Une analyse que Marine Le Pen complète en dégainant de nouveau la notion d'«UMPS» vieux cheval de bataille du Front national (FN) , c'est-à-dire une entente supposée entre les appareils de partis de la droite et de la gauche afin de conserver le pouvoir. «La nomination sans surprise de Monsieur Edouard Philippe à la fonction de Premier ministre confirme l'existence d'un système UMPS que l'on peut rebaptiser LREM», a jugé la présidente du FN dans un communiqué, ironisant sur le nom du parti d'Emmanuel Macron. 

Après l'UMPS et sa déclinaison «RPS» pour «Républicains», la présidente du FN a précisé ce qu'elle entendait par LREM : «Un premier ministre LR pour soutenir un Président de la République fils spirituel de François Hollande et qui recycle au sein de son mouvement En Marche! un PS en voie de disparition.»

D'abord la gauche

Il semble bien, effectivement, qu'Edouard Philippe ait été nommé pour parachever la constitution d'un môle autour de LREM en vue des législatives, laissant de part et d'autre ceux des vestiges du PS et des Républicains qui ne seraient pas «macron-compatibles».

Car, au sein des deux grandes formations historiques, le processus de «dissolution et de coagulation» cher aux alchimistes reprend de plus belle. Au Parti socialiste (PS), Jean-Christophe Cambadélis, droit dans ses bottes, continue inlassablement de fustiger l'œuvre de destruction de son parti. Pour le secrétaire général du PS, la nomination d'Edouard Philippe a au moins un mérite, celui de la clarification : le gouvernement d'Emmanuel Macron sera un gouvernement de droite, manière de faire comprendre que les transfuges du Parti socialiste qui rejoindraient les rangs de LREM ne seraient plus de gauche.

Mais Jean-Christophe Cambadélis risque de manquer sa cible. Le clivage droite-gauche, l'invocation des valeurs de la gauche pourraient bien se révéler insuffisantes à conjurer le «ni de droite ni de gauche» qu'Emmanuel Macron martèle depuis le lancement de son mouvement en avril 2016. 

Et maintenant la droite

A droite, il n'aura fallu qu'une seule journée pour que les fissures du parti Les Républicains ne recommencent à poindre. En témoignent les prises de position de certaines figures des Républicains réputées «ministrables». C'est le cas de Bruno Le Maire, dont le nom circule pour rejoindre le gouvernement qu'Edouard Philippe devrait constituer, qui a adressé ses félicitations au nouveau Premier ministre issu des Républicains, en appelant à dépasser les «vieux clivages».

Débauchage à l'ancienne

Thierry Solère, l'un des porte-paroles de François Fillon durant la campagne, a également adressé ses félicitations à Edouard Philippe. Thierry Solère, comme Bruno Le Maire, ont en commun de bénéficier de la mansuétude de LREM, laquelle n'a présenté aucun candidat dans leurs circonscriptions. Egalement dans ce cas, le juppéiste Gilles Boyer, candidat LR dans les Hauts-de-Seine et ami d'Edouard Philippe, qui s'est dit pour sa part «heureux» de cette nomination.

Chargé de mener la campagne des législatives pour Les Républicains, François Baroin a déclaré «regretter» la décision d'Edouard Philippe, dénonçant selon lui «un débauchage à l'ancienne». A certains égards dans la même situation que Jean-Christophe Cambadélis, le sénateur-maire de Troyes a martelé qu'il ne craignait pas «d'appel d'air».

En vain. Nathalie Kosciusko-Morizet a ainsi annoncé ce 15 mai avoir signé en même temps qu'une vingtaine d'élus de droite et du centre, dont Jean-Louis Borloo, un appel à saisir «la main tendue» du président Emmanuel Macron. «J'appelle les élus de la droite et du centre à adopter cette démarche constructive», a ajouté l'ex-ministre. Quelques heures à peine après la passation de pouvoir entre Bernard Cazeneuve et Edouard Philippe, le processus de décomposition-recomposition paraît même s'accélérer.

Alexandre Keller

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