«Vous savez, il y a des gens qui sont journalistes dans le service public et qui ont préfacé des livres épouvantables». C'est ainsi que Florian Philippot s'est adressé à l'écrivain Yann Moix sur la plateau de l'émission On n'est pas couché sur France 2.
Le numéro deux du Front national (FN) faisait ainsi allusion au livre Le Monde contre soi : Anthologie des propos contre les Juifs, le judaïsme et le sionisme écrit par Paul-Eric Blanrue et que Yann Moix a préfacé en 2007.
Un livre «antisémite», mais dont la préface critique l'antisémitisme ?
Aussitôt, le chroniqueur de ONPC paraît gêné. Car il s'agit d'un ouvrage particulièrement controversé. En un peu plus de 300 pages, l'auteur y relate les propos antisémites de personnalités célèbres exerçant en politique, dans la littérature, les arts, l'économie ou les sciences.
On y retrouve ainsi le philosophe Emmanuel Kant, le compositeur Richard Wagner, le poète William Shakespeare ou le dramaturge Johann Wolfgang von Goethe déjà connus pour leur antisémitisme assumé. Mais aussi d'autres, comme le poète Pierre de Ronsart, l'écrivain Jean-Jacques Rousseau, le romancier Charles Dickens, le musicien John Lennon. Et puis Gandhi, Freud, Simenon, Victor Hugo, Arthur Rimbaud, Marlon Brando... Des personnalités ne pouvant a priori pas être directement suspectées d'être ou d'avoir tenu des propos antisémites.
Ces propos, Paul-Eric Blanrue les rassemble pourtant dans son ouvrage dont certains pourront considérer qu'il se présente comme une justification de l'antisémitisme. Une manière de dire que les juifs ont toujours été détestés et par tout le monde.
En novembre 2013, la diffusion du livre par les éditions Kontre Kulture du polémiste Alain Soral, récemment condamné à trois mois de prison ferme pour avoir publié sur son site un dessin jugé négationniste, est interdite en France pour les motifs suivants : «injure envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée», «négation de crime contre l'humanité» et «provocation à la haine raciale».
Le 2 décembre 2014, le tribunal de grande instance de Bobigny autorise la diffusion du livre, jugeant que, sur le fond, la LICRA devait être déboutée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège la liberté d’expression. L'ouvrage est remis en vente sur le site des éditions Kontre Kulture le 17 février 2015.
En revanche, la version de 2007, préfacée par Yann Moix n'a jamais été interdite par la justice. Sans doute parce que la fameuse préface de l'écrivain et chroniqueur se présentait sous la forme d'une critique aiguë de l'antisémitisme, ce que n'a pas manqué de souligner le site d'actualités littéraire et philosophique La règle du jeu, tenu par Bernard Henri-Lévy. Yann Moix y faisait l'apologie de l'écrivain Charles Péguy, «le plus philo-sémite de tous les temps», se réjouissant que «son écrivain préféré» n'ait jamais été tenté par l'antisémitisme et ne figure pas parmi les nombreuses personnalités citées dans l'ouvrage de Blanrue.
Ce n'est pas la première fois que Yann Moix se retrouve dans l'embarras à cause de cette Anthologie des propos contre les Juifs, le judaïsme et le sionisme et de son auteur. En 2014, alors qu'il se trouvait au salon du livre, un journaliste de l'Agence Info Libre lui avait déjà demandé ce qu'il pensait du fait que le livre ait fait l'objet d'une demande d'interdiction à la justice de la part de la LICRA. Yann Moix, clairement embarrassé, avait refusé de répondre et quitté les lieux.
Yann Moix très gêné par le rappel de son amitié avec l'écrivain Paul-Eric Blanrue
Aussi, si la pique de Florian Philippot semble avoir froissé Yann Moix, ce n'est pas tant pour sa préface du livre controversé, mais bien parce que le numéro deux du Front national a remis sur la table l'amitié qu'a entretenu durant des années le chroniqueur avec Blanrue.
«Si vous avez été au lycée avec Marc Dutroux, est-ce que cela fait de vous un pédophile à quarante ans ?», a lancé Yann Moix d'une voix hésitante à Florian Philippot.
Car Paul-Eric Blanrue, qui se présente comme un fervent militant de la liberté d'expression sous tous ses angles, a souvent été soupçonné d'entretenir par extension, une proximité ambiguë avec les milieux négationnistes.
En 2010, il demande la libération du négationniste Vincent Reynouard. En 2011, il réalise une interview filmée d'une heure et demie du négationniste Robert Faurisson qu'il a par ailleurs soutenu lors de son procès en 2009 en compagnie de l'humoriste controversé Dieudonné. Ce dernier était également jugé par la 17e chambre correctionnelle de Paris pour avoir invité Robert Faurisson dans son théâtre de la Main d'or afin de lui remettre le prix de «l’infréquentabilité et de l’insolence».
Par ailleurs, dans une interview à l'Agence Info Libre publiée en 2015, Paul-Eric Blanrue revient sur son amitié avec Yann Moix. Usant de sarcasmes pour qualifier «le nouveau travail chez Ruquier» de son ancien camarade, il évoque «[leur] passé, [leurs] aventures, [leurs] bringues avec les filles, [leurs] échanges d'idées» et assure que le chroniqueur l'a, à maintes reprises félicité pour son interview de Robert Faurisson.