France

Second débat de la primaire : Fillon et Juppé, en désaccord, se frittent sans se piquer

Le second débat entre François Fillon et Alain Juppé, candidats de la primaire de la droite a été focalisé sur le programme des deux hommes qui malgré une courtoisie affichée n'ont pas pu s'empêcher de se livrer à quelques échauffourées verbales.

Le favori François Fillon et son challenger Alain Juppé ont ferraillé sans grand éclat jeudi 24 novembre devant plus de 8,5 millions de personnes lors de l'ultime débat télévisé de la primaire de la droite, loin des invectives qui avaient jusqu'ici émaillé l'entre-deux-tours.

Selon un sondage Elabe/BFMTV réalisé auprès de 908 personnes ayant suivi l'émission et publié juste après l'émission, M. Fillon a été jugé le plus convaincant par 57% des téléspectateurs, contre 39% pour M. Juppé.

Pour Fillon, «Juppé ne veut rien changer»

Un point de désaccord fondamental du débat entre les deux candidats a été le modèle social Français, totalement essoufflé pour François Fillon qui voudrait le réformer de A à Z, tandis que son adversaire souhaite «le consolider de façon responsable».

François Fillon a en effet expliqué que le modèle social français n'existait plus. «De quel modèle social vous parlez ? Vous parlez d'un modèle social qui génère 6 millions de chômeurs. Vous parlez d'un modèle social qui crée 2 millions de jeunes sans formation. Vous parlez d'un modèle qui se traduit par le déclassement des classes moyennes, qui n'arrive pas à endiguer l'explosion de la pauvreté. [...] Ce modèle social français n'existe plus dans la manière dont il est décrit», ajoute-t-il, avant de conclure : «Le modèle social français prend l'eau de partout. Je veux en reconstruire un qui soit juste, qui puisse venir en aide aux plus défavorisés, mais à partir de la création d'emplois.»

Au contraire, Alain Juppé souhaite «consolider le modèle social français» existant.

A propos du temps de travail pour les salariés et les fonctionnaires, sujet sur lequel les deux candidats sont en désaccord. Fillon voudrait augmenter le temps de travail pour tout le monde, tandis qu'Alain Juppé souhaite que le temps de travail des fonctionnaires n'augmente pas.

«Les 35 heures ont fait des dégâts et sont responsables du décrochage de notre pays», répond dans un premier temps François Fillon.

Alain Juppé veut lui, relever le temps de travail à 39 heures mais «pas de façon brutale». 39 heures payées 37 comme le souhaite M. Fillon, «ça ne se fera pas», «on ne peut pas demander à des fonctionnaires de travailler plus pour gagner moins».

Ainsi, pour Alain Juppé plus l'objectif de François Fillon de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires n'est «pas possible», lui qui veut en supprimer 250 000.

Pour François Fillon la réforme de l'assurance maladie doit être profonde car le système ne répond plus à l'attente des Français. Il souhaite par exemple que la sécu se concentre sur les risques principaux des affections graves et de longues durée, tandis que les petits risques doivent dépendre d'assurances complémentaires.

«Je ne toucherai pas au taux de remboursement contrairement à François Fillon qui veut monter une franchise indépendante», a rétorqué Alain Juppé.

«Cela montre bien que Alain Juppé ne veut pas vraiment changer les choses, il s'inscrit dans un système», répond alors François Fillon

La diversité, une vision divergente pour les deux candidats 

Sur la question de la diversité dans la société française François Fillon considère que la France n'est pas avant tout une nation multiculturelle, tandis que son rival Alain Juppé a jugé que «l'identité de la France, c'est d'abord la diversité».

Est-ce que pour vous l'avenir de la France est d'être une société multiculturelle? «La réponse est non. La France a une histoire, une langue, une culture, naturellement cette culture et cette langue se sont enrichies des apports de population étrangère, mais ça reste la base, le fondement de notre identité», a répondu François Fillon.

«Nous n'avons pas fait le choix du communautarisme, du multiculturalisme», a-t-il ajouté.

«Je veux que les étrangers qui viennent s'installer dans notre pays s'intègrent, s'assimilent, respectent l'héritage culturel qui est le nôtre, car c'est une revendication extrêmement forte, profonde au fond de l'âme française que de conserver nos repères, nos valeurs, une forme d'identité, naturellement qui a évolué, dans un monde qui est un monde ouvert, mais qui ne doit pas disparaître», a poursuivi François Fillon.

«Pour moi», a répondu Alain Juppé, «l'identité de la France, c'est d'abord la diversité et j'ai peut-être là une divergence avec François. Parce que nous ne sommes pas tous pareils: nous avons des origines différentes, des couleurs de peau différentes […], nous avons des religions différentes, certains n'en n'ont pas, nous avons aussi des idées politiques différentes.» 

«C'est une richesse, c'est une force, la diversité de la France, à la condition que cela ne conduise pas au communautarisme», a poursuivi le maire de Bordeaux, «c’est-à-dire à l'enfermement de chaque groupe dans ses propres lois ou dans ses propres modes de vie et que ça conduise au contraire à une unité renforcée dans la nation», a-t-il plaidé.

Par ailleurs pour François Fillon, l'identité française doit être enseignée par le «roman» ou «récit» national, ce qui actuellement n'est pas le cas selon lui. L'ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy déplore en effet une «manipulation de l'Histoire» dans les écoles, martelant qu'actuellement l'Histoire était «rédigée par des idéologues qui voudraient que les élèves aient la même vision qu'eux». «Moi je voudrais que ce soit des académiciens. On choisit les dates, les périodes, les hommes qui correspondent a l’idéologie qu'on défend».

«Extrême droite» VS «Grand mufti»

Revenant sur le sujet de la diversité un peu plus tard dans le cours du débat, Alain Juppé a reproché à son rival de récupérer les votes d'une partie d'une partie de l'extrême droite dont il l'accuse d'être relativement proche. Des accusations qu'il avait déjà étalé le 23 novembre dernier lors de son meeting à Toulouse. Il évoquait alors le nom de Jacques Bompard, maire d'Orange et fondateur de la Ligue du Sud qui a effectivement choisi de voter pour le député de Paris au second tour et également celui de Carl Lang, ancien secrétaire général du FN, ce dernier ayant souhaité dimanche «confirmer au deuxième tour le rejet d'Alain Juppé».

Faux répond François Fillon, s'indignant des allégations supposées du maire de Bordeaux qui l'accuse d'être proche de l'association Riposte Laïque qu'il soupçonne d'être derrière les accusations étant apparues sur les réseaux sociaux et où il a été qualifié de «Ali Juppé grand Mufti de Bordeaux».

Sur son site, l'association appelle à «voter Fillon en masse» pour «contrer le vote musulman» et qui parallèlement soutien fermement Marine Le Pen. François Fillon a assuré qu'il ne connaissait pas cette association.

Désaccord sur les relations avec la Russie

Evoquant les questions internationales, François Fillon a indiqué que «l'intérêt de la France n'est évidemment pas de changer d'alliance» en se tournant vers la Russie plutôt que les Etats-Unis, tout en renouvelant sa volonté de «retisser un lien» avec la Russie.

«Ce qui compte dans la politique étrangère que je veux conduire, c'est que la France défende ses intérêts», a affirmé François Fillon.

«Nous sommes les alliés des Etats-Unis, nous partageons avec les Etats-Unis des valeurs fondamentales que nous ne partageons pas avec les Russes et nous avons une alliance de sécurité avec les Etats-Unis, donc nous n'allons pas la remettre en cause», a poursuivi l'ex-Premier ministre.

François Fillon a par ailleurs qualifié d'«absurde» la politique conduite par François Hollande à l'égard de la Russie, estimant qu'elle menait ce pays à «se durcir, à s'isoler, à actionner les réflexes nationalistes». 

«Or il se trouve que la Russie est le plus grand pays du monde, bourré d'armes nucléaires donc un pays dangereux si on le traite comme nous l'avons traité depuis cinq ans», a-t-il poursuivi. «Ce que je demande c'est que l'on s'asseye autour d'une table avec les Russes sans que l'on demande l'accord des Etats-Unis et que l'on retisse un lien, si ce n'est une confiance, qui permette d'amarrer la Russie à l'Europe.»

Alain Juppé a quant à lui ironisé en disant que c'était «bien la première fois que la Russie choisit son candidat à la primaire», faisant référence aux récents propos élogieux du président russe Vladimir Poutine à l'égard de François Fillon

Le maire de Bordeaux a également dénoncé l'annexion de la Crimée dont il accuse la Russie, ajoutant que «la France ne doit être inféodée ni à Washington, ni à Moscou».

François Fillon a quant à lui appelé l'Ukraine à respecter les accords de Minsk au même titre que la Russie. il a également ajouté que la politique qu'a mené la France depuis 4 ans en Syrie avait échouée et qu'il fallait chercher d'autres voies, notamment en discutant avec Moscou et Téhéran. 

Un débat piquant, mais sans dérapages ni invectives

Bien que restant tout à fait courtois la plupart du temps, les deux candidats n'ont néanmoins pas pu s'empêcher de se lancer quelques piques personnelles. Ainsi, en revenant sur la question de l'IVG, Alain Juppé a redemandé à François Fillon s'il était «contre». Ce à quoi le député de Paris a répondu  : «le procès qui m'a été fait depuis quelques jours n'était pas correct».

«Je n'ai fait aucun procès, j'ai juste posé une question», s'est défendu Alain Juppé, en disant avoir été de son côté, «depuis des mois et des mois, l'objet d'une campagne absolument ignominieuse" [l'accusation de sympathie envers les salafistes et son qualificatif de Ali Juppé Grand Mufti de Bordeaux] sans qu'aucun «lieutenant» de Fillon ne la condamne.

«Je n'ai rien à voir avec cette campagne» et «quand je me fais traiter d'homophobe tous les matins je ne t'ai pas entendu non plus prendre ma défense», a répliqué François Fillon. 

En revanche, à de nombreuses reprises, François Fillon a tenté de contourner les critiques, déroulant son programme et dénonçant à plusieurs reprises des «caricatures» chez son rival comme chez les trois journalistes qui animaient le débat. Ce qui n'a pas échappé aux internautes.

Au terme de ce débat, c'est François Fillon qui a semblé afficher les ambitions les plus précises en assurant qu'«avec [son] projet, en deux ans, on peut redresser le pays, en cinq, diviser le chômage par deux, et dans dix ans, redevenir la première puissance européenne». 

Alain Juppé a quant à lui prôné des réformes sans brutalité, tout en restant relativement vague sur ses ambitions à terme. 

Record d'audiences pour France 2

Juste en terme d'audiences, en captant 18,1% des téléspectateurs présents devant leur télévision jeudi soir, France 2 a ainsi été plus suivie que TF1 (15,7% de part d'audience), alors que les chaînes diffusaient le même programme animé par Gilles Bouleau (TF1), David Pujadas (France 2) et Alexandra Bensaid (France Inter).

France 2 avait aussi emporté le match des audiences lors du débat de l'entre-deux tours de la présidentielle en 2012 entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, regardé par plus de 17 millions de personnes au total, soit près des deux tiers des téléspectateurs ce soir-là.