France

Commission sur les attentats de 2015 : pas de «gros ratés» mais des failles dans le renseignement

La commission d'enquête sur les moyens mis en œuvre par l'Etat contre le terrorisme a rendu ses conclusions. Elle pointe les lourds dysfonctionnements au sein des services de renseignement sans toutefois signaler d'erreurs graves.

Plus de 200 heures d’audition. 190 personnes interrogées. Cinq mois d’enquête. La commission chargée de faire la lumière sur les moyens alloués à la lutte contre le terrorisme a rendu ses conclusions le 5 juillet. Et les déductions du député Les Républicains (LR) Georges Fenech, président de la commission, de son rapporteur Sébastien Pietrasanta, député socialiste, ainsi que de leurs collègues soulèvent de graves dysfonctionnements.

Selon eux, il n’y a pas eu de «gros ratés» dans la gestion des attentats qui ont frappé la capitale en 2015. Une conclusion qui interpelle au regard des nombreuses erreurs pourtant commises par les services français de renseignement.

Pour la commission, l'opération Sentinelle décrétée au lendemain des attentats de janvier 2015 et l'état d'urgence, instauré après les attentats du 13 novembre, ont montré leur manque d’efficacité. Sans parler des luttes d’influence entre les différents services d’intervention et les difficultés rencontrées pour évacuer les victimes au soir du 13 novembre.

Echecs des services de renseignement

«Les deux grands patrons du renseignement ont reconnu pendant leurs auditions que les attentats de 2015 représentent un échec global du renseignement», révèle Sébastien Pietrasanta. «C'est un échec quand il y a un attentat», confirme Georges Fenech, «face au défi du terrorisme international, il faut des ambitions beaucoup plus élevées que ce qu'a mis en œuvre jusqu'à maintenant le ministère de l'Intérieur en termes de renseignement». Et lorsqu'on rentre dans le détail des opérations, ces deux déclarations prennent un tour particulier.

Saïd Kouachi, par exemple. L’un des deux frères responsables de l’attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 était dans le viseur des services de renseignement… jusqu’à ce qu’un simple changement de ville le fasse passer sous les écrans radars. «Les frontières entre services de renseignement ont permis la levée de la surveillance de Saïd Kouachi dès lors qu'il a quitté Paris pour Reims», explique Georges Fenech. Malheureusement, son retour dans la lumière s’est fait à l’aune de son expédition funeste.

Le cas d’Amédy Coulibaly est lui aussi intéressant. Condamné plusieurs fois, notamment lors du procès d'un projet d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des auteurs des attentats de 1995, le tueur de l’Hyper Cacher est sorti de prison sans que l'information ne soit transmise. Pire, aucune surveillance n’a été prévue alors même que sa radicalisation ne faisait plus de doute. De l’aveu même du ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, auditionné par la commission, «tout est à faire» en matière de renseignement pénitentiaire.

Série de menaces avant la tragédie du Bataclan

La tragédie du Bataclan suscite également son lot d'interrogations. Samy Amimour, l’un des membres du commando terroriste, a pu aller en Syrie en 2013 en dépit de l'interdiction de sortie du territoire dont il était frappé. Sébastien Pietrasanta juge ce couac «emblématique des défaillances du contrôle judiciaire». «L'ancien juge d'instruction antiterroriste Marc Trévidic, pendant son audition, nous a expliqué que trafiquants de shit et terroristes font l'objet du même traitement, les seconds n'étant pas plus surveillés que les autres», explique le rapporteur.

Bien avant l’attaque du 13 novembre, les autorités étaient au fait de menaces contre le Bataclan et contre «une salle de rock».

Dès 2009, une Française d’origine albanaise fait des déclarations troublantes. Arrêtée en Egypte après l'attentat du Caire qui a coûté la vie à une lycéenne française, Dude Hohxa déclare aux services égyptiens qu'un Belge, Farouk Ben Abbes, projette d'attaquer la salle de spectacle.

A l’époque, l’homme est soupçonné d’appartenir à une filière d'envoi de combattants en Irak. Arrêté une première fois en Belgique, il bénéficie d’un non-lieu. C’est sans problème qu’il voyage jusqu’en Egypte, où, à nouveau arrêté, il confesse aux services locaux un projet d’attentat au Bataclan.

Remis en liberté, il est de nouveau interrogé par les Belges, puis par les autorités françaises lors de son arrivée sur le territoire en 2010. Il est alors mis en examen et placé en détention. «Lors de son audition, le chef de la Sécurité intérieure Patrick Calvar nous a expliqué que toutes les investigations réalisées à partir de là n'ont pas permis de le relier à ce pseudo-projet dont on ignore toujours s'il a existé ou non», précise Sébastien Pietrasanta. Mais c’est bien le «défaut de coopération avec les autorités égyptiennes» relevé par le procureur de Paris François Molins que retient le député socialiste.

Cet épisode s’est donc terminé par un non-lieu «faute d’éléments probants» selon le rapporteur. «Dès lors qu'un juge d'instruction a conclu après enquête que la menace n'était pas avérée, il est difficile d'engager une protection qui aurait dû s'étendre sur plusieurs années», ajoute-t-il.

Quelques mois avant le carnage du 13 novembre, de nouveaux éléments troublants laissent penser qu’un attentat pourrait être projeté contre «une salle de rock». Reda Hame, jeune Français interpellé à son retour de Syrie, est interrogé par Marc Trévidic. Selon la commission, il fait clairement référence à un attentat contre une telle salle de spectacle. «La menace est prise très au sérieux par les services français mais comme l'a souligné M. Trévidic lors de son audition, il y a un très grand nombre de festivals et de concerts de rock en France», souligne Sébastien Pietrasanta.

«Contrecarrer les attaques aurait supposé que les magistrats instructeurs et les agents des services de renseignement aient gardé, personnellement, en mémoire toutes les cibles mentionnées par les terroristes lors de leurs auditions», estime le député des Hauts-de-Seine.

«Notre pays n'était pas préparé, maintenant il faut se préparer», a déclaré George Fenech. Dix mois se sont écoulés entre les attaques de janvier et l’horreur du 13 novembre.

Opération Sentinelle et état d’urgence inefficaces ?

Les membres de la commission s’en sont pris à deux dispositifs essentiels de l’Etat dans sa réponse à la menace terroriste : l’opération Sentinelle et l’état d’urgence. La première a été mise en place au lendemain des attentats de janvier. Quelques 7 000 militaires sont déployés sur le territoire afin d’assurer la sécurité des points «sensibles». Sébastien Pietrasanta juge que l’opération n’a pas prouvé son efficience et s’interroge sur «l'efficacité réelle de ce dispositif dans la sécurisation du territoire national».

Les déclarations faites par le député belge Georges Dallemagne le 5 juillet risquent d’alimenter le débat. Le parlementaire du Centre démocrate humaniste (cdH), l'ex-Parti social chrétien, affirme que six militaires de la force Sentinelle se trouvaient devant le Bataclan le soir des attentats du 13 novembre et qu'ils ne seraient pas intervenus compte tenu de leurs règles d’engagement.

«On sait que la gendarmerie n'est pas intervenue alors qu'elle était présente sur place. On sait que la force Sentinelle, qui avait six militaires en armes devant le Bataclan n'est pas intervenue au moment où le carnage se produisait», a affirmé le député. «Ils ont estimé qu'ils ne devaient pas intervenir car leurs règles d'engagement ne prévoyaient pas qu'ils devaient intervenir. Leurs règles prévoyaient qu'ils ne pouvaient que se protéger eux-mêmes. C'est tout-à-fait incroyable, hallucinant», a encore déploré Georges Dallemagne.

Le député, anticipant d’éventuelles critiques envers les autorités belges, prévient que «chacun doit balayer devant sa porte», car «en France aussi il y a eu de grosses difficultés».

La commission a également remis en cause l’efficacité de l’état d’urgence, mesure décrétée au lendemain des attentats du 13 novembre et ô combien critiquée. «L'état d'urgence a eu un effet mais il semble s'être rapidement amenuisé», juge le rapporteur.

Guéguerre entre services

La rivalité entre services d’intervention a occupé une bonne partie des longues heures de débat au sein de la commission. Plusieurs critiques ont notamment visé les délais d'intervention et l'assaut du 18 novembre donné par le Raid dans un appartement de Saint-Denis où était retranché Abdelhamid Abaaoud, l'un des organisateurs des tueries du 13 novembre.

Des reproches infondés pour Sébastien Pietrasanta. Il estime que les policiers du Raid et de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) parisienne, ainsi que le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ont «fait preuve de courage et de professionnalisme». Preuve de leur «efficacité», «aucun otage n'a perdu la vie durant les assauts» de janvier et de novembre 2015, «et aucun policier au sein des colonnes n'a été abattu». Il a loué «leur capacité à intervenir dans de brefs délais», prenant pour exemple l’arrivée de la première colonne de la BRI au Bataclan 15 minutes après qu'elle ait été alertée.

Au-delà de ce satisfecit, le rapporteur n'élude pas «les rivalités qui existent depuis longtemps entre la police et la gendarmerie ou même au sein de la police». En janvier, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve avait fermement appelé les forces à travailler conjointement sans forcément être bien entendu comme le prouve la guéguerre qui a éclaté entre les services suite à l’intervention de la BRI au Bataclan, avec le soutien du Raid mais sans le GIGN.

Sébastien Pietrasanta a tenu à mettre un point final à ce conflit. «D'autres forces d'intervention spécialisées étaient présentes dans la salle et il était indispensable de disposer d'une réserve de troupes d'élite» en cas de nouvelle attaque, explique le député, saluant toutefois «l'initiative du GIGN» de se positionner dans «une zone échappant à sa zone de compétence». Le groupe d’élite de la gendarmerie se situait non loin de la place de la Bastille durant l’assaut du Bataclan.

Le nouveau schéma d'intervention, annoncé en avril par Bernard Cazeneuve pour être présent le plus vite possible en cas d'attentat de masse en faisant fi des rivalités territoriales, est salué par le rapporteur. Avec un bémol toutefois : il espère que cela «ne favorisera pas une forme de concurrence malsaine entre les forces», dans «une course à l'intervention».

Des problèmes lors de l'évacuation des victimes au soir du 13 novembre

Sébastien Pietrasanta remet sur la table un vieux projet : la fusion des services d’intervention. Le refus catégorique de Bernard Cazeneuve ne semble pas entamer la détermination du rapporteur à en discuter. «Si la question de leur fusion ne saurait être posée à court terme, elle ne doit pas pour autant constituer un tabou», affirme le rapporteur, pour qui la «création d'un commandement unifié des trois forces pour piloter les opérations» serait une première étape.

Il milite pour une augmentation des effectifs de l’Unité de coordination des forces d'intervention (Ucofi). Une structure qui se compose actuellement de… deux personnes.

Enfin, l’évacuation des victimes aurait posé problème le 13 novembre. Les centaines de blessés gisant dans les rues parisiennes ont dû prendre leur mal en patience. Et pour cause, les secours d’urgence n’avaient pas accès au périmètre contrôlé par les forces d'intervention. La commission propose donc l’instauration de «colonnes d’extraction» des victimes. Espérons qu’elles ne servent pas de sitôt.