Entre le CRIF et Dieudonné, c’est une longue histoire. Depuis plusieurs années, Roger Cukierman, président de l’institution, semble avoir le comique et polémiste dans son viseur. Alors que ce dernier doit entamer prochainement une tournée dans plusieurs villes de l’Hexagone, le CRIF a décidé de solliciter Fleur Pellerin pour que l’humoriste voit ses représentations de Dieudonné en paix interdites. D’un autre côté, Yonathan Sayada, un jeune comique juif, se produira à partir du 12 février au théâtre de la Main d’Or.
Des précédents
Si, pour le moment, la justice n’a rien trouvé à redire sur le contenu de son dernier opus, Dieudonné s’est déjà vu, dans un passé récent, interdit de monter sur scène. Le 9 janvier 2014, le locataire de la Main d’Or est à l’origine d’une décision jusque là inédite. A la demande du Premier ministre Manuel Valls, le Conseil d’Etat se réunit. Il doit décider si l'humoriste pourra produire son spectacle Le Mur, le soir même, au Zénith de Nantes. L’issue sera défavorable pour le principal intéressé et ses représentations annulées.
Un an plus tard, le président de Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière, propriétaire de plusieurs salles de spectacles où devaient jouer Dieudonné, décidait de ne pas le programmer. Le CRIF a d’ailleurs fait parvenir ses doléances aux exploitants des salles concernées, «notamment le Groupe Fimalac».
Mais quelles sont-elles au juste ? Sur ce point, rien de nouveau sous le soleil : «Le Crif est choqué qu'un multirécidiviste de la haine antisémite puisse encore être considéré comme un 'artiste' et ait accès à des salles qui font l'objet de délégations ou de concessions de service public.»
Roger Cukierman, «réitère» sa demande à la ministre de la Culture Fleur Pellerin «d'intervenir rapidement pour que de telles dérives ne puissent pas se produire impunément».
Celui qui est considéré par certains comme l’un des meilleurs comiques de sa génération a été condamné en France à plus de 60 000 euros d'amendes pour des propos qualifiés d’antisémites dans plusieurs affaires.
Le 28 janvier, il a été refoulé de Hong Kong, où il devait donner deux spectacles. Sagi Karmi, consul d’Israël sur place, avait personnellement alerté les autorités au sujet des «vues ouvertement racistes et antisémites du personnage, ainsi que de sa sympathie avérée pour les djihadistes».
Cet épisode intervient peu de temps après que la directrice des relations internationales du CRIF, Eve Gani, ait fait une demande particulière au président russe Vladimir Poutine. Dans le cadre d’une rencontre avec une délégation d’associations juives européennes, l’organisation communautaire «a remis au Président russe une demande particulière du CRIF pour faire en sorte que des criminels français comme Dieudonné M’bala M’bala et Alain Soral n’utilisent pas les médias russes pour diffuser des thèses antisémites.»
Au même moment, un comique juif jouera à la Main d’Or
Les nouvelles demandes d’interdiction du CRIF prennent place dans un contexte particulier. Yonathan Sayada, humoriste juif âgé de 27 ans, se produira à partir du 12 février dans l’antre du comique maudit. Il a accepté de jouer son spectacle Ma réponse à Dieudonné après de longues discussions avec ce dernier.
Dans un entretien au magazine en ligne Vice, celui qui considère qu’«aujourd'hui, on a plus de chance de passer inaperçu si on prononce le nom Hitler en public que celui de Dieudonné» explique sa démarche : «Moi je dis OK, tu veux rire de nous, pas de problème : je vais rire avec toi. Je vais aller sur ton terrain. Je ne suis pas en désaccord avec le fait de te parler, t'es un être humain. Je suis contre la fermeture, la ‘sectarisation’. Il a voulu dire, en gros, que les juifs on était trop entre nous, et pour le condamner, on s'est encore plus repliés sur nous-mêmes. Donc on a donné raison aux antisémites. Moi, ça m'énerve. Je parle aux antisémites en fait. Les juifs, je n'ai pas besoin de les convaincre de ne pas être antisémites. On ne peut faire la paix qu'avec son ennemi.»
Le jeune homme a subi de nombreuses attaques de la part de sa propre communauté. Des attaques qui le touchent : «Jamais de ma vie on ne m'avait soupçonné de ne pas être juif. Je suis quand même le cliché absolu du petit juif dit ‘Chalala’. Mais là apparemment, je ne suis plus juif. Ça me fait de la peine.»
Mais il ne se résigne pas pour autant. Il veut montrer une autre facette de sa communauté : «On a désormais une image genre ‘on ne peut pas rigoler avec nous, on ne peut pas nous toucher, on est seuls dans notre coin’. Moi j'en peux plus. Je veux montrer une autre image, vraiment.»