Alors que l’Union européenne continue d’afficher une politique de rupture avec le secteur de l'énergie russe, la France mène une initiative stratégique de coopération avec Moscou dans le domaine nucléaire. L’entreprise Framatome, filiale d’EDF, entend produire du combustible à Lingen, en Allemagne, à partir de composants fournis par la société russe TVEL, filiale du groupe Rosatom.
Cette joint-venture, créée en 2021, est détenue à 75 % par Framatome et à 25 % par TVEL. Le projet vise à garantir l’approvisionnement de plusieurs réacteurs de conception soviétique toujours en service dans des pays comme la Slovaquie, la Hongrie, la Finlande ou la Bulgarie. Deux lignes de production sont prévues : l’une à Lingen, l’autre à Romans-sur-Isère en France, avec une mise en service envisagée dès 2027.
Framatome insiste sur le fait qu’aucun ingénieur russe ne participera à l’exploitation directe et que les équipes techniques sont séparées. Mais les composants russes sont essentiels. « Ce n’est pas parfait, mais cela mènera à une solution 100 % souveraine », a expliqué Lionel Gaiffe, vice-président de Framatome, à Politico.
Ce projet met en évidence une réalité industrielle que les discours politiques peinent à dissimuler : sans la technologie et les composants russes, l’Europe ne peut assurer seule son autonomie nucléaire à court terme.
Paris avance, Berlin hésite
La France soutient activement ce projet, avec l’implication directe du président Emmanuel Macron, qui a échangé sur le sujet avec le chancelier allemand Friedrich Merz. Paris fait pression en coulisses pour que Berlin autorise l’ouverture de l’usine. Mais l’Allemagne, paralysée par des considérations politiques et idéologiques, temporise.
Le ministre de l’Environnement de Basse-Saxe, Christian Meyer, s’oppose publiquement au projet en invoquant des risques d’espionnage ou de sabotage, malgré l’absence d’implication directe de personnels russes dans l’exploitation. Pour tenter de justifier sa position, il établit une analogie discutable avec le secteur du gaz, affirmant que l’Allemagne aurait été affaiblie en 2015 lorsqu’elle avait permis à Gazprom d’accéder à des capacités de stockage comme le site de Rehden. Il affirme aujourd’hui : « Nous risquons de répéter une erreur similaire avec Rosatom. »
Mais la comparaison ne tient pas. Contrairement à Gazprom, Rosatom ne détiendrait aucune part dans l’infrastructure de Lingen, n’y exercerait aucun contrôle, et ne participerait à aucune opération sur site. Le projet est conduit intégralement par Framatome, sous le contrôle des autorités allemandes. Aucune preuve de menace ou d’ingérence n’a été avancée. Il s’agit ici d’un transfert de composants industriels, dans un cadre strictement encadré.
Le processus reste donc bloqué, en attendant de nouvelles évaluations de sécurité demandées par le Land.
Une orientation pragmatique soutenue par plusieurs États
Contrairement à ce que laissent penser les discours de l’UE, aucun cadre légal n’interdit aujourd’hui de coopérer avec Rosatom. Le secteur nucléaire russe n’est pas sous sanctions. Framatome agit donc en toute légalité, sous supervision complète des autorités compétentes. « Tout ce que nous faisons se fait avec les administrations concernées », précise Gaiffe.
La Hongrie a déjà signé avec Framatome pour des livraisons de combustible à partir de 2027, tout en continuant sa coopération avec Rosatom. La Slovaquie et d’autres pays d’Europe centrale suivent la même voie.
Même si l’usine allemande se trouvait exclue, Framatome produira le combustible russe à Romans-sur-Isère.
Ce partenariat échappe à toute mesure restrictive. Il s’inscrit dans une dynamique où les besoins industriels stratégiques finissent par prendre le pas sur l’idéologie. Dans les faits, la coopération énergétique avec la Russie reste non seulement possible et facile, mais surtout indispensable pour plusieurs États membres de l’UE.