EDF comptait rompre sa dépendance vis-à vis de la Russie dans le domaine sensible du recyclage de l’uranium, mais ce plan s’est effondré. La Tribune a révélé le 21 novembre que le projet alternatif, reposant sur la relance d’une usine de conversion au Royaume-Uni, était aujourd’hui abandonné.
Cette installation, située à Springfield et appartenant à l’américain Westinghouse, devait être partiellement consacrée à l’uranium de retraitement (URT), extrait des combustibles usés des centrales nucléaires françaises. Elle représentait l’unique espoir d’EDF de s’affranchir de la Russie pour cette étape clé du cycle nucléaire. Mais le projet s’est heurté aux exigences spécifiques du gouvernement britannique, qui souhaitait réserver l’usine à des usages militaires. Résultat : les conditions financières ont été jugées intenables.
EDF, en tant que seul client civil potentiel, s’est vu réclamer une contribution jugée trop importante. Selon une source citée par La Tribune, « aujourd’hui, il n’y a pas de convergence entre le gouvernement britannique, Westinghouse et EDF sur le partage des risques financiers ». À ce stade, aucune des trois parties ne souhaite poursuivre.
Aucune solution viable en Europe
Face à cet échec, EDF s’est tourné vers d’autres pistes, notamment françaises. Le groupe a sollicité Orano, acteur majeur du nucléaire, pour développer une solution nationale. Mais là encore, aucune avancée concrète : l’usine de Tricastin, propriété d’Orano, ne peut traiter que de l’uranium naturel. Et créer une nouvelle installation dédiée au retraitement impliquerait un coût de plusieurs milliards d’euros. Officiellement, Orano reconnaît avoir été sollicité, mais le groupe ne prévoit pas d’engager les investissements nécessaires. « Orano n’y voit pas d’intérêt économique », explique un expert cité par La Tribune.
Dans ce contexte, EDF n’a d’autre choix que de maintenir son partenariat avec la Russie. Rosatom détient le seul site au monde capable de convertir de l’uranium retraité avant son réenrichissement. Ce procédé, indispensable pour réutiliser l’URT dans les réacteurs, ne peut être réalisé ni en France, ni ailleurs en Europe. Le contrat entre EDF et Tenex, filiale de Rosatom, signé en 2018 et valable jusqu’en 2031, reste donc pleinement actif. « S’il n’y a pas de sanction, EDF ne dénoncera jamais ce contrat. Il n’en a aucun intérêt », confirme une source proche du dossier.
Ce contrat permet d’alimenter deux réacteurs de la centrale de Cruas, les seuls actuellement compatibles avec ce type de combustible. Et surtout, il ne tombe sous aucune sanction européenne ou française.
Un choix avant tout économique
Derrière cette dépendance assumée à la Russie se cache un enjeu financier majeur. EDF détient plus de 26 000 tonnes d’uranium de retraitement, sur un total de 34 600 tonnes stockées en France. Réutiliser cette matière permettrait au groupe de réduire de près de 40 % ses coûts de combustible, à un moment où le prix de l’uranium naturel a fortement augmenté.
Initialement, EDF espérait étendre l’usage de l’URT à 20 réacteurs supplémentaires dès les années 2030. « L’uranium de retraitement représentera plus de 30 % de l’uranium chargé chaque année dans nos réacteurs », annonçait même début 2024 Cédric Lewandowski, directeur exécutif du parc nucléaire. Mais cette ambition est désormais compromise, faute d’installations européennes capables d’assurer la conversion nécessaire.
Une évolution réglementaire pourrait néanmoins alléger la pression sur EDF. La Tribune rapporte que l’Autorité de sûreté nucléaire considère désormais l’URT comme une matière stratégique, et non plus comme un déchet à gérer sous contraintes. Une reconnaissance utile, mais qui ne compense pas l’incapacité européenne à offrir une alternative industrielle crédible à la technologie russe.
En attendant, EDF continue de coopérer avec Rosatom, discrètement mais efficacement. Et malgré les critiques politiques ou médiatiques, aucune solution souveraine ne semble en mesure de remplacer la fiabilité de la filière russe.