France

France : le meurtre de Philippine relance le débat sur l'application des OQTF

Le meurtre d’une jeune fille, Philippine, dans un bois de la capitale française, dont le principal suspect est un Marocain en situation irrégulière, défraye la chronique en France, sur fond de changement de ministre de l’Intérieur. Les réactions à ce drame sont l’objet d’un véritable affrontement politique dans le pays.

Une «barbarie devenue presque quotidienne» et des «victimes anonymes [à qui] la République doit la fermeté […] Nous devons avoir le courage de la fermeté.» Ces mots ont été prononcés par Bruno Retailleau le 23 septembre lors de la passation de pouvoir place Beauvau, au ministère de l’Intérieur.

Le lendemain, un suspect a été interpellé à Genève, en Suisse, dans le cadre de l’affaire Philippine, du nom d’une jeune française de 19 ans retrouvée morte dans le bois de Boulogne, son corps ayant été découvert enterré le 21 septembre. L’individu arrêté est un Marocain de 22 ans, connu des services de police et sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait rapporté Europe 1.

Il se trouvait par ailleurs en liberté conditionnelle, après avoir été condamné pour le viol commis en 2019 d'une jeune femme de 23 ans qu'il avait suivie dans le bois de Taverny, dans le Val-d’Oise. Condamné à sept ans de prison, il avait été placé en détention à partir de mars 2022 mais en était sorti en juin 2024.

Les réactions politiques ont été multiples à droite mais également à gauche et ont viré à l’affrontement alors que le nouveau ministre de l’Intérieur doit composer avec des avis contradictoires au sein même de l’exécutif français.

«Ce migrant n’avait donc rien à faire sur notre sol» : Jordan Bardella interpelle l’État français

Dans un message posté le 24 septembre au soir sur X (ex-Twitter), le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella a insisté sur la nationalité de la personne interpellée, affirmant que «ce migrant n’avait donc rien à faire sur notre sol». «Notre justice est laxiste, notre État dysfonctionne. Il est temps que ce gouvernement agisse», a-t-il fustigé.

À la télévision, le député Éric Ciotti, désormais président de son parti, l’Union des droites républicaines (UDR), a également condamné le «laxisme» de la justice : «On a cette aberration des mineurs isolés qui bénéficient d'une protection ahurissante.»

«ENCORE un migrant, ENCORE un clandestin, ENCORE une OQTF non exécutée, ENCORE un criminel récidiviste, ENCORE un violeur laissé en liberté», s'est emporté sur X l'eurodéputée Marion Maréchal. «Si l’information est confirmée, Philippine est ENCORE une petite Française que nos dirigeants ont livrée à un prédateur importé», a-t-elle insisté.

Une indignation qui fait écho à d'autres affaires sordides ayant endeuillé la France ces dernières années. En octobre 2022, dans la capitale française, le corps de Lola, 12 ans, avait été retrouvé dans une valise. Une Algérienne de 24 ans, Dahbia Benkired, avait été interpellée puis mise en examen. En situation irrégulière, celle-ci faisait également l'objet d'une OQTF. 

Seules 12% des OQTF sont exécutées, selon la Cour des comptes

La non-application des OQTF est un serpent de mer qui revient régulièrement dans le débat politique français. «Malgré les moyens alloués, seules 12% des OQTF sont exécutées», soulignait la Cour des comptes dans un rapport publié début janvier.

Sur le front des réactions, également sur X, la directrice de l’association féministe Nemesis Alice Cordier a, elle, stigmatisé la décision judiciaire, évoquant «un juge des libertés qui s’est dit que c’était bien de le laisser sortir».

Sandrine Rousseau, députée écologiste, a de son côté dénoncé un «féminicide» qui «mérite d’être jugé et puni sévèrement». «L’extrême droite va tenter d’en profiter pour répandre sa haine raciste et xénophobe», a-t-elle ajouté, ponctuant son message sur X du slogan antifasciste «No pasaran».

À gauche encore, le jour de l’arrestation de l’individu sous OQTF, Lucie Castets, toujours considérée comme la candidate du Nouveau Front populaire pour le poste de Premier ministre à Matignon, a défendu une régularisation de «tous» les sans-papiers.

«La justice est indépendante», «Il joue au malin» : un duel entre la Justice et l’Intérieur

Cette affaire intervient alors que certains membres du nouveau gouvernement sont déjà à couteaux tirés. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a ainsi vu le ministre de la Justice Didier Migaud lui envoyer quelques piques sur un plateau télévisé le 23 septembre, lui rappelant que son rôle comme garde des Sceaux était de «faire en sorte que l’État de droit soit respecté», avant de déclarer à propos de son collègue : «Il doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays et que c’est une chose essentielle dans une démocratie.»

Le lendemain, le ministre de la Justice contredisait les propos du ministre de l’Intérieur, affirmant que «le laxisme de la justice n'existe pas». Cette intervention précédait de quelques heures l’arrestation du Marocain sous OQTF. Si Bruno Retailleau n’a pas répliqué à ces propos, son entourage s’en est chargé, se confiant à un quotidien national : «Il joue au malin. C’est bien que la seule personne en France qui pense que tout va bien sur le plan de la justice soit justement garde des Sceaux…» Les proches du nouveau Premier ministre estiment par ailleurs être «sur la même ligne que Michel Barnier : une ligne de fermeté».