Réclamant comme ailleurs en Europe de meilleurs revenus et, pour certains, moins de normes environnementales, les agriculteurs français barrent depuis le 29 janvier avec leurs tracteurs huit axes autoroutiers autour de la capitale, sous la surveillance de forces de l'ordre mobilisées en masse.
Le «siège» annoncé de Paris n'a jusqu'à présent pas eu lieu, les aéroports franciliens n'ont pas été bloqués pas plus que le marché de produits frais de Rungis, le plus grand du monde, qui alimente la région parisienne.
Un convoi de quelque 200 tracteurs, parti du sud du pays, a cependant repris la route ce 30 janvier au matin en direction de ce marché, qu'il compte investir dans l'après-midi, à l'appel de la Coordination rurale.
«Les convois arrivent de tous les côtés, c'est un truc de fou !», s'est exclamé le coprésident de ce syndicat agricole, José Perez, interrogé par l'AFP. «C'est vraiment très fort ce que l'on est en train de vivre. Les gens sont avec nous, on a pu constater tout au long du trajet que les Français aiment leurs agriculteurs», a-t-il ajouté.
Au total, plus d'un quart des départements français (30) ont été touchés par ce mouvement de colère du monde paysan, qui menace de dégénérer en nouvelle crise sociale un an après la vaste mobilisation contre le relèvement de l'âge de départ à la retraite.
Sur la défensive, le Premier ministre Gabriel Attal, nommé il y a moins d'un mois, a annoncé au cours du week-end plusieurs mesures, dont l'abandon de la hausse de la taxe sur le gazole non routier, sans toutefois convaincre les principaux syndicats qu'il a reçus lundi en fin de journée.
De «nouvelles mesures» seront prises ce 30 janvier en faveur des agriculteurs, a assuré la porte-parole du gouvernement Prisca Thévenot.
Cette nouvelle tempête sociale devrait figurer en bonne place dans le discours de politique générale qu'il prononcera dans l'après-midi devant le Parlement pour dévoiler les grands axes de son action.
Le président Macron est lui-même monté au créneau le 29 janvier, réunissant des ministres et donnant «pour consigne» d'empêcher l'entrée des tracteurs dans les grandes villes pour ne pas créer de «difficultés extrêmement fortes».
Paris impute à Bruxelles le mécontentement des agriculteurs
Le chef de l'Etat s'entretiendra le 1er février avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen des mesures de soutien attendues par les agriculteurs. L'échange portera notamment sur le gel de l'accord commercial controversé que Bruxelles négocie avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) et l'arrivée de produits ukrainiens dans l'Union.
Selon Politico, l’Elysée impute à Bruxelles le mécontentement des agriculteurs français. Paris appelle désormais l'UE à abandonner un certain nombre de mesures, par exemple en limitant l'importation de produits en provenance d'Ukraine et en revenant sur l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR, deux revendications des agriculteurs. Macron prévoit de discuter de la crise lors du sommet européen du 1er février.
Quatre fois moins d'exploitants en 50 ans
Episodes climatiques extrêmes, grippe aviaire, flambée des prix du carburant ou afflux de produits ukrainiens exemptés de droits de douane, les facteurs communs de mécontentement ne manquent pas en Europe.
Entre blocages d'autoroutes et défilés de tracteurs, la grogne agricole a déjà gagné en décembre et janvier l'Allemagne mais aussi la Roumanie, la Pologne ou encore la Belgique.
La nouvelle politique agricole commune européenne (PAC), qui renforce depuis 2023 les obligations environnementales, et les législations du Pacte vert européen (ou «Green Deal») - même si elles ne sont pas encore en vigueur - cristallisent tout particulièrement la colère.
Les paysans dénoncent une PAC selon eux déconnectée du terrain. «La France est l'un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent», pointait un rapport sénatorial français en septembre 2022. En vingt ans, elle est passée du deuxième au sixième rang mondial pour ses exportations - et au troisième européen, après les Pays-Bas et l'Allemagne.
«Les importations alimentaires en France explosent: elles ont doublé depuis 2000 et représentent parfois plus de la moitié des denrées consommées en France dans certaines familles», poursuivait cette étude.
Plus généralement, les agriculteurs européens dénoncent une concurrence déloyale, notamment parce que les produits importés ne sont généralement pas soumis aux mêmes réglementations que dans l'UE.
Le nombre d'exploitations agricoles a en outre été divisé en France par quatre en 50 ans: de 1,5 million en 1970, elles sont désormais moins de 400 000.