Manger à sa faim, une préoccupation réservée aux pays pauvres ? La France, pourtant septième puissance économique mondiale en 2022, est de plus en plus touchée par la malnutrition.
L’étude «Consommation et modes de vie» de mai 2023 du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) est sans appel : alors qu’en juillet 2022, 12% des Français déclaraient ne pas manger à leur faim, ils étaient 16% dans cette situation en novembre de la même année. Une hausse très brutale, souligne l’association, de «4 points en cinq mois alors qu’elle n’avait augmenté que de 3 points entre 2016 et 2022». De fait, souligne encore le Crédoc, les «personnes en situation d’insuffisance alimentaire quantitative» ne représentaient que 9% de la population française en 2016.
Les «personnes en insuffisance alimentaire qualitative», c’est-à-dire qui ne mangent pas forcément les aliments qu’ils souhaitent, sont également plus nombreuses. Elles sont passées de 41 à 45% des personnes interrogées entre 2016 et novembre 2022 (44 à 45% entre juillet et novembre 2022). Passent ainsi à la trappe viande, poisson, légumes frais. Au-delà de ces situations parfois tragiques, le Crédoc déplore que «le sentiment de devoir se restreindre sur les dépenses alimentaires» ait bondi de 22 à 41% des consommateurs entre juillet et novembre 2022.
L’aide alimentaire a triplé en dix ans
Logiquement, ce sont les individus les plus fragiles qui sont les plus touchées par la précarité alimentaire : personnes à faibles revenus, femmes isolées, chômeurs, jeunes.
En témoigne aussi l’explosion du recours à l’aide alimentaire : il a triplé en dix ans, selon une étude publiée par la Banque alimentaire le 27 février 2023. En tout, 2,4 millions de Français y ont désormais recours, dont 17% d’actifs, 17% de retraités et 11% d'étudiants, souligne l’association. De son côté, le Secours catholique estimait en novembre 2022 que 48% des ménages rencontrés par l’ONG d’entraide n’arrivaient pas à couvrir leurs dépenses alimentaires quotidiennes.
24% des personnes citent en effet "des problèmes pour aller faire des courses" comme raison de leurs difficultés.
Coupable désigné par le Crédoc et la plupart des associations d’aide aux démunis : l’inflation. Si elle montait à 6% en moyenne sur un an en mars 2023, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), elle explosait à 16% pour les produits alimentaires sur la même période. Une croissance continue, puisqu’elle s'élevait déjà à 15% en février 2023. Des chiffres considérables qui masquent en outre de grandes disparités selon les produits : les légumes frais ont vu leur prix bondir de 29% en un an, contre plus de 20% pour les pâtes ou les fromages, 23,8% pour le beurre ou 13,9% pour la viande.
Inflation : les premiers prix plus touchés
Le Crédoc, s’appuyant sur l’étude «Iri Vision – Le prix» de janvier 2023, souligne en outre que cette hausse des tarifs touche davantage les marques premier prix que les marques nationales, impactant d’autant plus les personnes précaires. Celles-ci subissent également la hausse des tarifs de l’énergie : «24% des personnes citent en effet "des problèmes pour aller faire des courses" comme raison de leurs difficultés.»
Manque d’argent pour faire le plein, magasins trop éloignés ou absence de transports en commun peuvent ainsi empêcher les Français précaires d’aller acheter des provisions. Une énergie plus chère pousse aussi les Français à opter pour des produits nécessitant moins de cuisson, souligne encore le Crédoc. Des fragilités qui se cumulent, puisque ceux qui se nourrissent mal sont aussi ceux qui renoncent à se soigner correctement et qui ont des difficultés de logement, déplore encore l’organisme.
Un sombre tableau qui ne risque guère de s’éclaircir au vu d’autres indicateurs économiques. Dans son «Suivi mensuel des défaillances», la Banque de France a ainsi souligné que le nombre de faillites avait bondi de 49% entre mars 2022 et mars 2023 et de 47% entre avril 2022 et avril 2023.
Des fragilités qui se cumulent, puisque ceux qui se nourrissent mal sont aussi ceux qui renoncent à se soigner correctement et qui ont des difficultés de logement.
Et si le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) est au plus bas depuis 14 ans à 7,2%, le nombre de personnes en «situation de contraintes sur le marché du travail» est toujours très élevé, à 16,5% des «participants au marché du travail». Cet indicateur de l’Insee regroupe plusieurs catégories de personnes précaires. On y trouve tout d’abord le «halo du chômage», c’est-à-dire les personnes sans travail, mais qui ne répondent pas aux critères du chômage : en recherche d’emploi, mais pas immédiatement disponibles, par exemple. Y figurent aussi les personnes en temps partiel subi ou qui enchaînent les emplois temporaires.
Autant de Français menacés de précarité alimentaire.