Des off ont dévoilé le 12 septembre que le président Emmanuel Macron s'impatienterait et souhaiterait une réforme des retraites au plus vite avec le minimum de débats politiques. L'hypothèse serait l'inclusion de celle-ci dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) cet automne, avec l'utilisation du controversé 49.3. Le projet, maintes fois modifié par Emmanuel Macron, viserait désormais à allonger la durée de cotisation et, par voie de conséquence, à travailler plus longtemps. Le système à points serait abandonné.
Une réforme en urgence est-elle néanmoins utile ? Tout d'abord, le procédé interroge. Emmanuel Macron avait promis lors de sa réélection et lors de la campagne des législatives «une nouvelle méthode» pleine de bienveillance, confiant le 3 juin que les Français étaient «fatigués des réformes qui ven[aient] d’en haut». Il lançait par là-même l'idée du Conseil national de la refondation (CNR) pour promouvoir «un esprit de dialogue et de responsabilités partagées», «des consensus sur la situation du pays». Finalement, par son ton accéléré et sa quasi-absence de débats parlementaires, une réforme des retraites automnale semble torpiller ces promesses.
Le choix du calendrier peut aussi laisser perplexe. Les Français sont au cœur d'une crise du pouvoir d'achat, subissant une forte inflation. Ils sont d'autre part menacés par une crise énergétique cet hiver, du fait notamment des sanctions antirusses et d'une politique controversée sur le nucléaire (avec la fermeture progressive de 14 réacteurs, dont deux déjà arrêtés, ceux de Fessenheim). Emmanuel Macron s'attendrait d'ailleurs à ce que la réforme ne soit pas populaire.
Le scénario d'une réforme pour l'automne provoque une vive opposition des syndicats et de la gauche. Pascale Coton secrétaire générale du syndicat CFTC, classé au centre, est elle-même surprise que le dossier «bouge aussi vite». Dans un propos rapporté par l'AFP, elle ajoute que si ce scénario se confirme, «ce sera du passage en force [et] il ne faudra pas qu'ils s'étonnent que les gens descendent dans la rue». Même son de cloche du côté de la CFDT, Laurent Berger adoptant un verbe menaçant vis-à-vis du gouvernement : «[S'il] sort une mesure dans le prochain PLFSS sur l’âge de départ ou la durée de cotisation, on cesse toute discussion et on descend dans la rue avec l’ensemble des organisations syndicales.»
Dans la même veine, la secrétaire confédérale de la CGT, Catherine Perret, confirme que «le risque de conflit social est majeur». Elle dénonce «une provocation de plus», alors que «toutes les organisations syndicales sont contre» le projet de l'exécutif.
Au sein même de la majorité, le calendrier fait débat. Le porte-parole du mouvement d'Edouard Philippe Horizons, Frédéric Valletoux, explique le 15 septembre sur France info qu'il ne veut pas d'une réforme «en catimini». Il demande de «l'explication, de la pédagogie [car] accélérer sans expliquer, ça ne peut pas fonctionner [et ce], quel que soit le véhicule législatif». D'après Libération le 15 septembre, la présidente macroniste de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ainsi que le patron du nouveau CNR, François Bayrou, seraient tout aussi opposés à une telle réforme par le PLFSS.
Une réforme pour dégager des marges financières pour l'Etat
La contestation peut sembler d'autant plus forte que le but recherché de la réforme des retraites n'est pas de «sauver» le modèle. En effet, les justifications d'une réforme des retraites sont sorties du cadre de l'argumentation initiale. Celle-ci servirait non plus à assurer la pérennité d'un système mais à trouver des financements par cette économie. Cet aveu est clairement exposé : à la presse, le 12 septembre, Emmanuel Macron a justifié la réforme, en expliquant qu'elle permettrait de financer certains grands chantiers, comme la transition énergétique, l'école ou la santé. Olivia Grégoire, éphémère porte-parole du gouvernement au printemps dernier, motivait, pour sa part, l'allongement de l'âge légal par la nécessité de financer «notamment la question de l’autonomie, de la dépendance». Il faut donc faire des économies sur les retraites pour transvaser l'argent vers d'autres secteurs.
En réalité, les nouvelles justifications de l'exécutif peuvent difficilement être autres. Le Conseil d'orientation des retraites annonçait le 12 septembre, que les caisses de retraite françaises avaient dégagé un excédent de 900 millions d'euros en 2021 et devraient faire encore mieux cette année, avec un surplus de 3,2 milliards. Le problème démographique (et l'augmentation du nombre de retraités par rapport au nombre d'actifs) pourrait toutefois replonger les caisses dans le rouge. Sauf que si la bataille de l'emploi est remportée, les cotisations salariales pourraient permettre de limiter les déficits prévus.
Le faux problème des financements pour les retraites
D'autre part, l'économiste Gilles Raveaud rappelait le 25 novembre 2019 sur BFM Business qu'un fond de réserves des retraites (FRR) existait depuis 2001, doté de plus de 30 milliards d'euros en 2019, un montant qui serait d'environ 26 milliards fin 2021 selon certaines estimations. A cela s'ajoutent les réserves des systèmes de retraites complémentaires de plusieurs dizaines de milliards d'euros, 68 milliards fin 2021 pour le principal organisme Agirc-Arrco. Et Gilles Raveaud de compléter que la Caisse d'amortissement de la dette (Cades) «finira de rembourser la dette de la Sécurité sociale en 2024 et dégagera au minimum 24 milliards d'euros».
L'économiste Thomas Porcher, membre du collectif Les économistes atterrés, assurait également le 15 septembre sur RMC que le système de retraites en France n'avait pas de «réels problèmes de financements», malgré un possible changement démographique : «Le choc démographique dont on nous parle, c'est possiblement en 2050 selon des prévisions, [avec] sept [retraités] pour dix emplois. Le choc démographique a eu lieu et il est derrière nous.»
Enfin pour lutter contre la pauvreté, le système de retraites français serait «l'un des plus efficaces au monde» selon Thomas Porcher : «Nous avons aujourd'hui un million de retraités [français] sous le seuil de pauvreté [...] En Allemagne, il sont trois millions.»
Des séniors de plus en plus précaires ?
Or, un allongement du départ à la retraite n'entraînerait-il pas une précarité ? En effet, le taux d'emploi en France des plus de 50 ans est faible et en retard par rapport aux autres pays européens» (56,2% en France contre 61,3% dans la zone euro).
Le sociologue Serge Guérin estime qu'«avant de relancer le projet de réforme des retraites, le gouvernement devrait chercher à revaloriser l’emploi des plus de 50 ans, évincés en grand nombre du marché du travail». Le président de la CFTC, Cyril Chabanier, appuie qu'avant de discuter de l'âge de départ à la retraite, il faut négocier sur «la revalorisation des pensions, l'emploi des séniors [ou] la pénibilité».
Et pour les salariés séniors, l'âge fait que les arrêts de travail sont plus nombreux... financés par la Sécurité sociale. En somme, une économie d'un côté sur le dos des salariés (réduction inéluctable du nombre d'années de pensions de retraites à délivrer), pourrait bien entraîner une dépense de l'autre.
BG