La hausse des prix à la consommation a atteint 36,08% sur un an en décembre en Turquie – un record depuis septembre 2002 – selon les chiffres officiels publiés ce 3 janvier. Cette inflation, plus de sept fois supérieure à l'objectif initial du gouvernement, s'explique par la chute de la livre turque qui a perdu près de 45% face au dollar sur un an.
A rebours des théories économiques classiques, le chef de l'Etat estime que les taux d'intérêts élevés favorisent l'inflation, et a jusqu’ici fait pression pour baisser les taux directeurs pour soutenir la croissance turque. Mais sa politique monétaire – et le manque d'indépendance de la banque centrale, dont il a limogé trois gouverneurs depuis 2019 – n'ont fait qu'entraîner la monnaie nationale dans sa chute.
Au pouvoir depuis 2003, Recep Tayyip Erdogan refuse toute inflexion dans sa politique économique et semble tout miser sur la croissance, qui a atteint 7,4% sur un an au troisième trimestre. Celle-ci est portée notamment par des exportations rendues moins coûteuses en raison de la baisse de la livre turque. Elles ont connu une hausse de 32,9% sur un an à 225,37 milliards de dollars, «un record», salué par le président turc.
+86% pour la farine et le poulet
Mais le pays étant très dépendant des importations, notamment pour les matières premières et l'énergie, l'effondrement de la monnaie se traduit par des factures sans cesse plus élevées. L'inflation saute aux yeux dans les supermarchés : les prix des denrées alimentaires ont grimpé de 43,8% sur un an malgré les menaces du gouvernement, qui a exhorté les grandes chaînes de supermarché à revoir leurs prix à la baisse ces dernières semaines.
Selon les chiffres officiels, la farine et la viande de poulet ont augmenté de 86% en un an, l'huile de tournesol de 76% et le pain de 54%. D'interminables files d'attente sont ainsi apparues ces dernières semaines devant des kiosques à pain gérés par les municipalités d'opposition à Istanbul et Ankara, où le pain est vendu deux fois moins cher que dans la plupart des boulangeries.
Dans ce contexte politiquement explosif, le président Erdogan a relevé le salaire minimum au 1er janvier de 2 825,90 à 4 253,40 livres (environ 275 euros), une hausse de 50% déjà pour partie effacée par la hausse des prix. «Je crains que toutes les hausses de salaires n'aient fondu en deux mois», a réagi Gizem Öztok Altinsaç, économiste en chef de l'organisation patronale turque Tüsiad.
Effondrement face au dollar
«Chiffres de l'inflation absolument terribles pour la Turquie en décembre [...]. Le résultat de politiques économiques désastreuses», a commenté l'économiste Timothy Ash, spécialiste de la Turquie au cabinet britannique BlueBay Asset Management cité par l’AFP, pour qui le pays fait désormais face à une «spirale inflation/dévaluation du type Argentine/Venezuela».
Après plusieurs semaines de pertes historiques, la livre turque s'était pourtant redressée mi-décembre après l'annonce de mesures d'urgence par le président Erdogan et à des ventes massives de réserves en dollars, mais la monnaie voit de nouveau sa valeur fondre depuis une semaine face au billet vert. Un dollar s'échangeait autour de 13 livres turques ce 3 janvier vers 12h GMT, alors qu’il ne coûtait que 7,4 livres début janvier 2021.