Emmanuel Macron, a-t-il raison de dire : «Nous sommes un pays qui travaille moins que les autres […] Nous avons une quantité de travail allouée qui n'est pas au bon niveau. A la fois dans le cycle de vie et en horaires cumulés», comme il l’a fait le 12 octobre lors de la présentation du plan d’investissement France 2030 ?
La réponse dépend des critères choisis et les possibilités sont nombreuses. Par exemple, si l’on considère la durée hebdomadaire du travail salarié à temps plein, la France, avec 40,4 heures, arrivait en 2020 nettement derrière la Grèce (44,5 heures) et la Pologne (42,2 heures), mais légèrement devant le Luxembourg (40,3 heures) et nettement devant le Danemark (38,4 heures) selon les données de l’office statistique de l'Union européenne (UE).
Et si l’on sort de l'UE on s’aperçoit, en prenant en compte les données fournies par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que les salariés à temps plein français travaillent beaucoup moins que leurs homologues turcs (48,3 heures) mais nettement plus que les Norvégiens (38,7 heures) par exemple.
Si l’on intègre à la durée hebdomadaire de travail salarié celle des employés à temps partiel, la moyenne française reste également comparable à la moyenne européenne avec 36,3 heures. C’est moins qu’en Allemagne (36,8 heures), mais nettement plus qu’au Danemark (32,3 heures) ou aux Pays-Bas (29,3 heures).
Cumul annuel : moins qu'au Portugal, plus qu'en Allemagne
Au passage, il est intéressant de noter que les chiffres d’Eurostat montrent une tendance à la réduction de la durée hebdomadaire du temps de travail à temps complet dans la quasi-totalité des pays de l’UE et même une certaine convergence. En dix ans, on est, par exemple, passé en Allemagne de 41,9 heures hebdomadaires à 40,5, pendant qu’en France, on passait de 41,4 à 40,4.
Si l’on compare la durée annuelle du travail salarié, une fois encore la France est loin d’être «un pays qui travaille moins que les autres», comme le montrent les chiffres de l’OCDE selon lesquels cette durée était en 2020 de 1 400 heures en France contre 1 613 au Portugal, mais 1 367 au Royaume-Uni et 1 332 en Allemagne.
Enfin, difficile de savoir ce qu’a en tête le président de la République lorsqu’il parle de «quantité de travail allouée». En revanche, lorsqu’il parle de «cycle de vie», on comprend qu’Emmanuel Macron parle de la quantité de travail sur une carrière entière. Une notion directement liée aux débats actuels sur le report de l’âge légal de départ à la retraite. Et, à 62 ans, il est effectivement plus bas en France que dans la plupart des pays européens. Mais âge légal de départ à la retraite ne signifie nullement âge effectif de départ à la retraite.
«Cycle de vie»
Ainsi, en France l’âge moyen de départ à la retraite (63,3 ans) est supérieur à l’âge de liquidation des pensions (62 ans), tandis qu’il est quasiment identique en Allemagne (65,5 ans et 65 ans). Et là encore, il faut se méfier des illusions d’optique que créent les statistiques. Par exemple si l’on considère le temps de travail annuel en France et en Allemagne, on s’aperçoit qu’un salarié français, aura cumulé, selon les chiffres de l’OCDE, autant d’heures de travail en 40 ans qu’un salarié allemand en 42 ans.
Or, comme l’âge de départ réel moyen à la retraite intervient environ deux ans plus tard en Allemagne qu’en France, il est raisonnable de penser que la durée cumulée du travail sur «un cycle de vie» est en réalité très proche dans ces deux pays.
Chômage des seniors
Enfin, puisque la tirade d’Emmanuel Macron a, de toute évidence, pour but de légitimer un report de l’âge légal de départ à la retraite, il est pertinent de prendre en considération les taux d’emploi par classe d’âge et c’est là le vrai point faible de la France. Plafonnant à 55,2%, le taux d’emploi de la classe d’âge 55-64 ans est nettement inférieur à la moyenne européenne (59,8%) et très nettement inférieur à ceux observés en Suède (77,6%), en Allemagne (71,7%) et aux Pays-Bas (71%), même s’il reste légèrement supérieur à ceux de l’Espagne et de l’Italie (54,7% et 54,2%).
En résumé, le président n'a incontestablement raison, lorsqu'il dit que l'on travaille moins en France qu'ailleurs, que s'il fait allusion au taux de chômage des seniors.
Ivan Lapchine