Economie

Levée de boucliers générale contre le projet de loi Climat et Résilience

Elus, associations, ONG, et même membres de la Convention citoyenne accueillent le projet de loi Climat et Résilience avec scepticisme. Face à la bronca générale, ce test de crédibilité environnementale du gouvernement semble mal engagé.

Le gouvernement a examiné le 10 février, en conseil des ministres, le projet de loi Climat et Résilience. Ce texte essentiel pour la crédibilité du gouvernement en matière d’action environnementale est composé de 65 articles et organisé en six grands thèmes : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir, et renforcer la protection judiciaire de l’environnement.

Certaines mesures sont déjà largement connues. C’est le cas de l’interdiction de louer des «passoires thermiques», c’est-à-dire des logements ayant les deux notes les plus basses (F et G) sur l’échelle de l’actuel Diagnostic de performance énergétique (DPE) et qui représentent en France près d’un logement sur six. Mais patience ! Cette mesure n’est censée entrer en vigueur qu’en 2028.

D’autres mesures sont pour le moment un peu moins connues, comme l’instauration d’un «CO2 score» − un affichage de l’impact sur le climat des produits et services − ou des dispositions pour ralentir l'artificialisation des sols et amplifier la réhabilitation des friches industrielles.

Le projet prévoit aussi l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles, le transfert aux maires ou présidents d’intercommunalités du pouvoir d’encadrement de la publicité sur le territoire de leurs communes, ou encore la mise en place d’ici le 31 décembre 2024 de Zones à faibles émissions-mobilités (ZFE-m) qui imposent des restrictions à la circulation de véhicules anciens dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Examiné au Parlement à partir de la fin mars pour une adoption prévue en septembre, ce texte rendra, selon le gouvernement, «crédible» l'atteinte de l'objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. 

Pour Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique citée par l’AFP, ce texte va faire «pénétrer l'écologie au cœur du modèle français dans ce qu'il a de plus fondamental, l'école, les services publics, la justice, mais aussi le logement et l'urbanisme, la publicité et les transports».

Déception chez des membres de la Convention citoyenne pour le climat 

Pourtant les critiques de militants ou élus écologistes, d’une centaine d’associations, voire de certains membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), pleuvent déjà contre l'exécutif, accusé de détricoter les 149 propositions de cette dernière.

William Aucant, l'un des 150 membres de la CCC qui a rendu en juin ses 149 proposions s’agaçait déjà, le 8 février, en écrivant sur Twitter : «Depuis le 29 juin 2020, les 150 participent à des semblants de concertation face à des sourdes oreilles, sur une feuille de route écrite d'avance et dans un processus qui a tellement traîné en longueur qu'une majorité des 150 a décrochée.»

En début de semaine, le réseau Action climat France publiait une lettre ouverte signée par une centaine d’associations, ONG ou organisations comme Attac France, la Fondation Abbé Pierre, Greenpeace et l’Union nationale des associations familiales (UNAF) alertant le président de la République sur le «manque d’ambition» du projet de loi.

L’étude d’impact accompagnant le projet de loi tiré de la Convention citoyenne reconnaît ainsi que les mesures proposées ne permettront pas en l'état de tenir les objectifs de baisse d'émissions de 40 % à horizon 2030

Dans ce texte les signataires s’alarment de ce que «l’étude d’impact accompagnant le projet de loi tiré de la Convention citoyenne reconnaît ainsi que les mesures proposées ne permettront pas en l'état [contrairement à ce qu’affirme le gouvernement] de tenir les objectifs de baisse d'émissions de 40 % à horizon 2030».

Ils soulignent aussi que cette cible est «déjà en elle-même insuffisante compte tenu du nouvel objectif de -55 % adopté en décembre dernier à l’échelle de l’Europe». Le gouvernement français est en effet largement accusé de revoir à la baisse ses ambitions, alors que grâce à une réduction importante des émissions au niveau européen, l’objectif du «pacte vert» a lui été revu à la hausse dès septembre.

Jugement en défaveur de l'Etat

En outre, ils rappellent le jugement rendu le 3 février par le tribunal administratif de Paris qui reconnaît (dans un communiqué de presse) «l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique [et] juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité».

«Ce jugement concerne le passé», ont déjà répondu les services du Premier ministre cités par l’AFP, soulignant que ce jugement portait sur le non-respect par le gouvernement de ses engagements pour la période 2015-2018. Et, dès le 7 février le président de la République se réjouissait sur Twitter qu’en 2019 «La France [ait] dépassé ses objectifs pour 2019, avec une baisse des émissions de 1,7%».

Une baisse des émissions en trompe-l'œil 

Au même moment la ministre de la Transition écologique affirmait que ce résultat avait été atteint grâce à l’action du gouvernement en déclarant : «C'est le fruit de nos politiques, par ex. pour changer nos chaudières fioul.»

Un retentissant bide de communication démasqué jusque le site web de la chaîne de service public France info qui, sous le surtitre «vrai ou fake» explique que ce résultat en 2019 n'a, en réalité, été atteint que parce que l’objectif de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) pour la période 2019-2023 a été révisé à la baisse in extremis en janvier.

Le gouvernement a aussi bénéficié d’une première partie de l’hiver plus douce que la normale, sans parler des effets divers des périodes de confinement et de couvre-feu ou même de la baisse de l’activité industrielle en 2020.

Quant au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et au Conseil national de la transition écologique (CNTE), récemment consultés sur le projet de loi, leurs avis convergent : tous deux s’inquiètent de l’insuffisance des mesures prises pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de la faiblesse des dispositifs pour réduire les inégalités sociales.

Le CESE précise dans son évaluation du projet de loi, rendue fin janvier ainsi que «les nombreuses mesures du projet de loi, en général pertinentes restent souvent limitées, différées ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine».

Un point de vue auquel fait écho la lettre ouverte du réseau action climat France pour qui «ce projet de loi cède en effet largement le pas à l’incitation et aux simples encouragements à changer de pratiques là où une intervention des pouvoirs publics est requise».

Parmi les détracteurs du projet de loi climat, le député Matthieu Orphelin, ancien ingénieur de l’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et ci-devant élu LREM, fait partie des plus virulents. Le 14 janvier dernier, il a envoyé un courrier au président et au Premier ministre pour leur faire part de sa «colère devant le trop peu d’ambition» du projet de loi climat.

Il a quantifié la baisse des émissions que permettrait le projet de loi climat et, «sauf erreur de calcul», il estime que la France émettrait «plutôt en 2030 21,9% de moins qu’en 1990», loin des 40 % de réduction escomptés, sans parler des 55% qui sont désormais l’objectif du programme européen. 

Des personnes sans aucune compétence tirées au sort ont sorti toute une série de propositions, qui sortent d'où ? [...de] pseudo-experts, qui ont fait enfiler les perles à la convention citoyenne et qui nous sortent des bêtises comme cela

Enfin, on trouve des mécontents jusque chez les plus fidèles soutiens de la majorité présidentielle comme le député centriste Charles de Courson. Pour ce giscardien historique, le problème n’est pas un manque d’ambition du texte, mais semble-t-il le principe même de démocratie participative illustré par la Convention citoyenne pour le climat. Le 7 octobre, lors de l’examen en commission des Finances d’une mesure sur les indemnités kilométriques dans le cadre du projet de Loi de Finances 2021, il s’emportait en déclarant :

«Des personnes sans aucune compétence tirées au sort ont sorti toute une série de propositions, qui sortent d'où ? [...de] pseudo-experts, qui ont fait enfiler les perles à la convention citoyenne et qui nous sortent des bêtises comme cela.»

Ivan Lapchine