Objet régulier de controverses, le montant de la fraude sociale demeure incalculable. Après un rapport parlementaire ayant conclu fin 2019 à l'«impossibilité matérielle» de la tâche, le Sénat avait commandé une enquête sur le sujet à la Cour des comptes.
Les magistrats financiers sont arrivés à la même conclusion, comme l'a reconnu le 15 septembre leur premier président, Pierre Moscovici, auditionné au Sénat, à l’occasion de la présentation de ce rapport : «Ce qu'il n'est pas possible de chiffrer de manière suffisamment fiable, nous ne le chiffrons pas dans notre rapport.»
Le rapport ne cite donc que le milliard d'euros de «préjudices subis ou évités» en 2019 par la Sécu et Pôle emploi, mais estime que «les organismes sociaux perdent des sommes importantes».
En novembre 2019, dans une communication au Premier ministre consacrée à la fraude aux prélèvements obligatoires, la Cour avait fait état d’une estimation par l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), à partir de contrôles aléatoires des Urssaf sur les cotisants, d’une fraude aux prélèvements sociaux qui serait comprise, pour 2018, entre 6,8 et 8,4 milliards d'euros. En outre la Cour avait à l’époque jugé cette évaluation sous-estimée.
Le rapport daté de septembre 2020 qui vient de paraître couvre les branches du régime général de sécurité sociale (maladie et accidents du travail-maladies professionnelles, famille et vieillesse) et Pôle emploi et les retraites complémentaires des salariés AgircArrco, soit 521,4 Md€ de prestations légales et conventionnelles représentant 21,5 % du PIB.
La branche maladie priée de faire le ménage
Intitulé La lutte contre les fraudes aux prestations sociales, le rapport dresse la liste des principaux types de fraudes parmi lesquels : la facturation par des établissements ou professionnels de santé de soins fictifs ; la sous-déclaration de revenus en vue de percevoir indûment des prestations sociales sous conditions de ressources comme l’ensemble des minima sociaux (RSA, primes d’activité aides au logement...) ; l’absence de déclaration de reprise de travail par une personne bénéficiant de prestations sociales comme les allocations chômage ; la déclaration d’activité salariée en tout ou partie fictive en vue d’obtenir des droits injustifiés à des versements de retraites ou d’indemnité de chômage total ou partiel, etc.
La Cour des comptes recommande donc en premier lieu aux administrations concernées d’«estimer dans tous les cas le montant de la fraude». Elle juge aussi «possible d'assécher à la source une grande partie des risques de fraude» en croisant en tous sens les fichiers sociaux, fiscaux, bancaires, mais aussi consulaires et scolaires, afin de vérifier les identités et les revenus des bénéficiaires. L'Assurance maladie est en particulier priée de faire le ménage parmi ses quelque trois millions d'assurés résidant moins de six mois par an dans l'Hexagone, et parmi les 152 000 détenant encore «plusieurs cartes Vitale actives».
Chose rare, l'institution préconise par ailleurs de «renforcer les effectifs consacrés à la réalisation de contrôles» – aujourd'hui de l'ordre de 4 000 équivalents temps plein –, et de créer une «unité spécialisée [...] dans la répression des agissements criminels et la cybercriminalité».