Avec un bénéfice avant impôt en baisse de 33% à 13,5 milliards de dollars (12 milliards d’euros), 2019 a été une mauvaise année pour HSBC, sixième banque mondiale par ses actifs, et dont le siège social se trouve à Londres. Mais 2020 pourrait être pire. Tout d’abord parce que les effets économiques de la pandémie mondiale ne manqueront pas d’affecter son activité, mais aussi pour des raisons politiques qui la dépassent.
Le 3 juin, veille du 31e anniversaire de la répression de la place Tiananmen, Peter Wong, directeur général de HSBC pour la zone Asie-Pacifique a signé une pétition en faveur de la Loi de sécurité nationale adoptée par l’Assemblée populaire nationale de Chine (APN).
Approuvée le 28 mai à une écrasante majorité, elle doit être incorporée à la Loi fondamentale qui sert de constitution à Hong Kong et vise, selon Pékin, à réprimer l’indépendantisme, le terrorisme, et les interférences étrangères. Cette loi a provoqué la fureur de l’administration américaine qui accuse la Chine de remettre en cause l’accord de rétrocession à la Chine de l’ancienne colonie britannique signé en 1997, qui lui garantit une «large autonomie» jusqu’en 2047.
HSBC n’a pas été seule à témoigner son soutien à cette loi. Standard Chartered, autre banque britannique très présente dans la région, l’a également soutenue, son porte-parole expliquant qu’elle pourrait «aider à maintenir la stabilité économique et sociale à long terme de Hong Kong». Deux conglomérats britanniques, Swire Group et Jardines, historiquement actifs dans la région, ont suivi l’exemple.
Cette démonstration de fidélité semble avoir valu à HSBC peu de respect à Pékin, qui continue à utiliser les activités de la banque en Chine comme levier politique contre Londres
Mais c’est surtout l’ex-Hong Kong & Shanghai Banking Corporation (HSBC), fondée à Hong Kong en 1865, qui s’est attirée les remarques acerbes de l’administration américaine. Le 9 juin, Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain a ainsi déclaré à son propos que «cette démonstration de fidélité sembl[ait] avoir valu à HSBC peu de respect à Pékin, qui continue à utiliser les activités de la banque en Chine comme levier politique contre Londres».
HSBC «loin d’être en sécurité»
Ce jugement révèle le dépit du chef de la diplomatie des Etats-Unis devant le signe très net d’allégeance d’une des plus grandes banques occidentales aux autorités chinoises, mais il n’est pas sans fondement.
En effet, un article du Global Times, média chinois traduit en anglais et réputé dire tout haut ce que Pékin pense tout bas, publiait le même jour un article intitulé «HSBC est "loin d’être en sécurité" dans le contexte de déclarations controversées».
Le média y fait allusion à des documents publiés par le département de la justice américaine (DOJ) qui, selon «des experts juridiques» montreraient que la banque aurait piégé la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou lors d’une rencontre à Hong Kong le 22 août 2013. Lors de cet entretien, un représentant de HSBC aurait obtenu des informations montrant que Huawei était resté au commandes de Skycom, une société chinoise placée sous sanctions américaines pour avoir violé des mesures unilatérales américaines d’embargo contre l’Iran.
Ramifications de l'affaire Huawei
HSBC ayant été en délicatesse avec le DOJ dans plusieurs affaires de blanchiment et de violation d’embargos, on peut raisonnablement imaginer qu’elle ait fait l’objet, sinon d’un véritable chantage, du moins de fortes pressions pour apporter des éléments incriminant Huawei en échange d’un allègement des pénalités financières encourues.
Le peuple chinois n'acceptera certainement pas des banques étrangères comme HSBC qui, [...] coopère avec l'hégémonie mondiale de l'impérialisme américain, et nuit considérablement au développement de la haute technologie chinoise
L’article du Global Times cite les propos d’un certain Monsieur Li, «observateur de l’industrie et analyste de la politique chinoise» selon lequel : «Le peuple chinois n'acceptera certainement pas des banques étrangères comme HSBC qui, pour ses propres intérêts, coopère avec l'hégémonie mondiale de l'impérialisme américain, et nuit considérablement au développement de la haute technologie chinoise.»
Enfin, l'article du Global Times laisse entendre que la justice chinoise aussi pourrait s’en prendre à HSBC, cette fois pour violation d’une loi sur le transfert de données à des puissances étrangères.
Moins d’une semaine avant, le quotidien britannique Daily Telegraph avait affirmé que le président de HSBC, Mark Tucker, avait averti le Premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, que la première banque de la City subirait des représailles si la Grande-Bretagne maintenait sa décision récente d’exclure totalement Huawei de l’équipement des futurs réseaux de télécommunication 5G britanniques.
Mais en plus des éventuelles mesures de rétorsion chinoises, la réaction de l’administration américaine à l’adoption par Pékin, le 28 mai, de la Loi de sécurité nationale pourrait remettre en cause l’essentiel de son activité.
La fin du statut spécial de Hong Kong ?
Dès le lendemain de l'adoption de La loi de sécurité nationale par l'Assemblée chinoise, le président Donald Trump signait un décret chargeant son administration de «révoquer le traitement préférentiel de Hong Kong en tant que territoire douanier et de voyage distinct du reste de la Chine». Cela signifierait par exemple que les taxes douanières imposées à la Chine concerneraient désormais Hong Kong. Une sanction à première vue assez indolore puisque Hong Kong exporte très peu de marchandises vers les Etats-Unis.
Mais ce revirement de l’administration américaine pourrait aussi remettre en cause le statut de Hong Kong comme plateforme financière de la région économiquement la plus dynamique du monde.
Or, HSBC a beau être considérée comme une banque anglaise, c’est en Asie et en particulier à Hong Kong qu’elle réalise l’essentiel de ses bénéfices. Dans son dernier rapport annuel on apprend que HSBC base sa stratégie pour les décennies à venir sur l’Asie qui, selon ses projections, devrait, d’ici 2040, représenter près de 50% de la production de richesse mondiale, contre un peu plus de 35% en 2000, tandis que les parts de l’Europe et de l’Amérique du Nord devraient à l’inverse reculer franchement sur la même période.
Bénéfices en Asie, pertes et impôts en Europe
Désormais, près de la moitié des 235 000 employés de HSBC et la même proportion des comptes bancaires gérés par la banque se trouvent en Asie. Et, bien que le siège de la Banque soit située à Londres, son directeur général est basé à Hong Kong depuis 2010.
Dans le rapport annuel de HSBC, on constate aussi que la banque a terminé l’exercice 2019 avec 3,345 milliards de dollars (3 milliards d’euros) de pertes avant impôts au Royaume-Uni, contre 12,05 milliards de dollars (10,5 milliards d’euros) et 2,8 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) de profits, respectivement à Hong Kong et en Chine continentale. Enfin, la Banque paye trois fois plus d’impôts en Europe qu’en Asie.
Il est trop tôt pour savoir si les menaces de Washington contre le statut spécial de Hong Kong, ainsi que celles de Pékin contre l’activité de HSBC seront mises à exécution. Mais une chose est sûre : la rivalité sino-américaine constitue une menace existentielle pour le fleuron bancaire de la City.
Ivan Lapchine