A moins d’une semaine d'une réunion à l’Elysée avec les syndicats et les organisations patronales pour discuter des réponses à donner à la crise économique et à la montée du chômage, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a jeté un pavé dans la mare.
«Moi j’ai un appel aux entreprises. On va être dans une situation difficile économiquement. Donc il y a un risque sur l’emploi, mais il y a des alternatives […] on peut aussi négocier des accords de performance collective», a ainsi proposé Muriel Pénicaud sur la chaîne LCI le 31 mai.
Ces accords sont prévus par les ordonnances de la loi travail 2, aussi appelées «ordonnances Pénicaud», entrées en vigueur en septembre 2017. Elles permettent d’«aménager» la durée du travail, la rémunération et les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Si un salarié de l’entreprise où a été conclu un tel accord en accepte les dispositions, les clauses de l'accord prennent le pas sur celles de son contrat de travail. S’il refuse, l’employeur peut le licencier pour ce seul motif.
Autrement dit, les entreprises ont la possibilité, en fonction de leurs besoins, de proposer des réductions de temps de travail, de salaires et d’avantage sociaux, si elles sont en mesure de les faire accepter dans le cadre d'accords avec les représentants du personnel.
Or, les négociations peuvent se faire sous la menace de suppressions d’emplois comme vient de le démontrer Ryanair. Ainsi, alors que la ministre suggérait sur LCI le recours aux «accords de performance collective», la compagnie aérienne irlandaise low cost proposait une baisse de salaire de 20% à 10% à ses salariés, sous peine d’engager rapidement un vaste plan social.
Interviewé sur la radio RTL le lendemain de la déclaration de Muriel Pénicaud, le délégué général de Force ouvrière s’est d’abord emporté contre la démarche de Ryanair qu’il a qualifiée de «comportement de prédateur», après en avoir contesté la légalité.
Les situations sont souvent des prétextes, des effets d'aubaine. Donc celle que nous connaissons aujourd'hui [...] risque de conduire beaucoup d'entreprises à utiliser cette situation pour faire valoir la nécessité de réduire encore le coût du travail
Mais il a aussi exprimé ses craintes que la situation économique actuelle justifie des baisses des salaires ou du nombre de jours de RTT, la suppression du 13e mois ou des indemnités de transport en expliquant : «Les situations sont souvent des prétextes, des effets d'aubaine. Donc celle que nous connaissons aujourd'hui, la crise sanitaire, avec ses conséquences économiques évidemment, risque de conduire beaucoup d'entreprises à utiliser cette situation pour faire valoir la nécessité de réduire encore le coût du travail.»
Discussions avec les partenaires sociaux
La CGT n’a, pour le moment, pas jugé utile de commenter les déclarations de la ministre et fait savoir qu'elle attendait la réunion du 4 juin à l’Elysée pour répondre aux propositions du gouvernement. Quant à la CFDT, il a été impossible de la joindre pour obtenir une réaction. Il y a deux semaines, son secrétaire général Laurent Berger plaidait encore dans les colonnes de L’Express pour «amorcer une discussion sur les salaires, les parcours professionnels». Mais il pensait plutôt à des augmentations et à des promotions.
Le jour même, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, déclarait pour sa part que «cela [allait] être compliqué pour les entreprises dans le rouge d'augmenter significativement les salaires».
Or, la tendance est plutôt aux diminutions. Le cas de Ryanair n’est en effet, à la manière près, pas isolé. Ainsi, Derichebourg Aeronautics Services, sous-traitant d’Airbus durement frappé par la mise à l’arrêt du secteur aéronautique, envisage un plan social menaçant 700 emplois. Mais l’entreprise familiale pourrait limiter le nombre des postes supprimés si les salariés renonçaient temporairement à leur 13e mois et à leur indemnité de transport. En revanche, on n’a pas connaissance de mesures de compensation en cas de retour à meilleure fortune.
Les salaires, variables d'ajustement
Dans ce système, les salaires et avantages sociaux des salariés deviennent une variable d’ajustement de la trésorerie des entreprises. Interrogé par Le Figaro, sur le recours aux accords de performance collective, le vice-président délégué de l’Association nationale des DRH, Benoît Serre confie : «C’est un outil que les gens commencent à regarder.» Or la généralisation des réductions de salaires pourrait, en diminuant la consommation des ménages, condamner la reprise de l’activité économique.
C’est ce que fait remarquer de façon un peu sarcastique l’universitaire et docteur en Economie Gilles Raveau, qui vient de faire paraître aux éditions du Seuil Economie, on a pas tout essayé. Commentant les propositions de la ministre qui avait aussi appelé quelques jours auparavant sur Radio Classique les Français à «consommer» les 60 milliards d'euros épargnés pendant le confinement selon l’Insee, afin de «faire repartir» l'activité, il écrit sur son compte Twitter : «Le gouvernement voudrait baisser les salaires et, "en même temps", augmenter la consommation. Deux paumés nommés Marx et Keynes ont expliqué pourquoi ce n’était pas possible. Heureusement, ils sont oubliés depuis longtemps.»
Ivan Lapchine
Lire aussi : «Le seul avenir est de travailler un peu davantage» : Macron fait son grand oral sur TF1