Pendant que les chaînes d'information se passionnent pour la réouverture des parcs et des terrasses des cafés, d’autres n’ont qu’une obsession : sauver leur emploi. Pour les salariés de l’usine Renault de Maubeuge, le week-end de la Pentecôte aura sonné la mobilisation. Leur site, qui fabrique la Kangoo, pourrait déménager à Douai, à 75 kilomètres de là. Un véritable «séisme» pour l’économie locale, dit un syndicaliste. Car quoi qu’en dise la direction du constructeur, Maubeuge ne devrait pas échapper au plan massif d’économies lancé par Renault : 15 000 suppressions d’emplois dans le monde, dont 4 600 rien qu’en France.
Les ventes automobiles se sont effondrées de 88% en avril
A l’image du marché automobile français, dont les ventes se sont effondrées de 88% en avril, le groupe, déjà mal en point avant l’épidémie, est aux abois. Et les 5 milliards d’euros du prêt garanti promis par l’Etat (PGE) n’éviteront pas la casse sociale. Il y a quelques jours pourtant, Bruno Le Maire appelait le secteur à relocaliser en France en échange d’un soutien public. «L’Etat met beaucoup d’argent sur la table, en contrepartie il faut que les constructeurs s’engagent», disait le ministre de l’Economie. Il faut croire qu’aujourd’hui, plus grand monde ne l’écoute.
On peut sortir un véhicule rentable en France
Une léthargie qui ulcère Philippe Béchade, président des Econoclastes. «Et le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) ? Ce n’était pas fait pour maintenir l’emploi en France ? Ces entreprises n’ont jamais respecté le contrat. Qui dit qu’elles vont jouer le jeu du PGE ?». En attendant, il en est un qui continue de croire au «made in France» et c’est un japonais : Toyota. Non loin de Maubeuge, son usine de Valenciennes, où est produite la Yaris, a été la première à redémarrer fin avril, dans la plus grande discrétion. La preuve, selon Philippe Béchade, «que l’on peut sortir un véhicule rentable en France, avec une production standardisée et des coûts inférieurs. Renault pourrait peut-être s’en inspirer !»
Comme il ne faut jamais désespérer, l’Etat pousse le véhicule électrique, en suggérant de relocaliser en France la fabrication des batteries. Xavier Timbeau, économiste et directeur à l’OFCE, y voit un début de solution. «Passer à l’électrique permet d’automatiser. Quand on ne fabrique plus de moteurs, on réduit le nombre de pièces et donc la complexité. Il est plus facile de robotiser.» Au point de sauver la filière ? L’économiste reste prudent. «C’est un plan à cinq ans. Renault ne va pas se mettre à produire de l’électrique avec plus de robots d’ici à la fin de l’année.»
Mais si l’on robotise, que devient l’emploi, et à quoi bon relocaliser ? Philippe Béchade s’avoue perplexe : «Au mieux, on peut arrêter de délocaliser. Mais fabriquer des voitures électriques en France ne créera pas d’emplois. Il y aura du monde pour construire l’usine, et une fois la production lancée, elle sera totalement automatisée.»
+22 % de chômeurs en avril, et ce n'est peut-être que le début
Pas terrible en effet pour les embauches. Surtout à l’heure où le chômage monte en flèche : +22% en avril en raison du confinement. Et ce n’est peut-être qu’un début. Car au-delà de l’automobile, c’est un véritable tsunami de plans sociaux qui s’annonce. Chez Airbus par exemple, près de 10% des emplois seraient menacés, conséquence de la paralysie du trafic aérien. Dans la distribution aussi, c’est l’hécatombe : pour Alinéa, Conforama ou La Halle, il est déjà trop tard, tous ont déposé le bilan.
Alors, quelles productions peut-on encore espérer rapatrier en France dans le «monde d’après» ? Pour Xavier Timbeau, cette crise devrait faire le tri entre ce qui est stratégique et ce qui l’est moins. «Est-ce que les voitures sont prioritaires quand les frontières ferment et que tout s’arrête ? Les microprocesseurs ou les réseaux télécom sont peut-être plus importants.»
C’est une question d’indépendance Sanitaire
Dans la longue liste des produits stratégiques, Philippe Béchade cite spontanément les médicaments : «C’est un impératif. Il faut surtout produire les principes actifs de ces médicaments, qui viennent tous de Chine et dont on est trop dépendants. On est tout à fait capables de le faire. Même si on perd de l’argent, c’est une question d’indépendance sanitaire.» Les médicaments, plus faciles à relocaliser que le reste ? Xavier Timbeau est de cet avis. «A l’heure de l’automatisation, cela ne pose pas de problème en termes de coûts. Au-delà des usines, il y a aussi toute l’ingénierie que l’on maîtrise. Mais on doit se coordonner avec nos voisins européens pour que ces filières existent au lieu de tout dupliquer. Il faut une réflexion stratégique, plutôt que de regarder ce qui est en train de sombrer et d’essayer de le sauver.»
Il n’y a pas de raison qu’un marché de 500 millions de consommateurs soit dépendant d’autres
L’Europe des coopérations comme planche de salut de notre industrie ? Pour l’économiste, «il n’y a pas de raison qu’un marché de 500 millions de consommateurs soit dépendant d’autres pour ses médicaments ou ses microprocesseurs. Et cela n’est pas contradictoire avec l’ouverture au commerce.» Autrement dit : continuer d’échanger, oui, mais en toute indépendance.